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ÉDUCATION
12
April 2024

La lutte pour maintenir l'école publique à flot : quand la débrouille devient un impératif

Depuis des années, parents, enseignants et personnels éducatifs tirent la sonnette d'alarme : les conditions d'enseignement se dégradent de plus en plus. Certains racontent même recruter via des annonces sur Leboncoin et repeindre les murs des préaux...

« Petite école sympathique à taille humaine, cherche deux temps-pleins d’AESH. » C'est l'annonce sur Leboncoin, adressée aux initiés de l’éducation nationale : AESH signifie Accompagnant d’Élèves en Situation de Handicap, un poste normalement attribué par le ministère. L'annonce se poursuit de manière humoristique, décrivant l'école entourée de verdure avec des petits oiseaux et des charmants bambins, avant de finir par un lien vers l'Académie de Rennes pour postuler. C'est une initiative des parents d'élèves de l’école élémentaire Jules Isaac à Rennes, excédés après deux recours en justice et le départ en arrêt-maladie d’une enseignante épuisée par le trop grand nombre d’élèves dans sa classe. « À la rentrée 2023, seule notre fille de sept ans avait une AESH alors qu’il en fallait quatre », explique Yoann, l'un des parents concernés. Quatre personnes postulent durant la semaine suivant la publication de l'annonce, « alors que l’Éducation nationale nous dit qu’elle n’arrive pas à recruter ».

Parents, directeurs d'école ou enseignants, tous tirent la sonnette d'alarme depuis des années sur le manque de moyens et la détérioration des conditions d'enseignement dans les écoles publiques. La pénurie de candidats au concours des enseignants, le manque d'instituteurs et d'autres personnels éducatifs, les fermetures de classes, les locaux en mauvais état : les problèmes s'accumulent. Alors, pour combler les lacunes et continuer à enseigner, les établissements essaient tant bien que mal de s'adapter. « On bricole. J'ai l'habitude de dire que l’Éducation nationale est la plus grande enseigne de bricolage de ce pays », affirme régulièrement Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, le premier syndicat des collèges et des lycées. Les recrutements via Leboncoin ou Facebook se multiplient, les parents mettent tant bien que mal la main à la pâte et les enseignants se retrouvent épuisés.

« On a demandé à des AESH de repeindre le mur du préau de l’école ! » C'était il y a longtemps, mais Florence s’en souvient très bien. « Ça m’a marquée. » Cet exemple illustre le bricolage permanent imposé au personnel de l’école. « Dans certains collèges du 93, il n’y a pas assez de chaises pour les élèves », lâche Yuna, professeur en école maternelle à Paris. À l’image du collège Travail Langevin à Bagnolet, dont StreetPress racontait récemment les galères. Les murs des locaux sont moisis et laissent passer la pluie. Il manque une infirmière scolaire et une assistante sociale.

La lutte pour que les élèves continuent d’avoir cours se fait souvent au détriment de la santé des enseignants. « J’ai des collègues qui vont travailler avec une pneumonie, parce qu’ils savent qu’ils ne seront pas remplacés », déplore Yuna. Parfois, elle ressent une pression pour devoir « s’adapter à l’inadaptable », comme le résume une enseignante rencontrée par Mediapart pendant la grève de plus de trois semaines des établissements de Seine-Saint-Denis, pour « un plan d’urgence pour le 93 ». Florence, l’AESH bretonne, se souvient avoir culpabilisé suite à un arrêt dû à une fracture du poignet. « J’ai dû me faire opérer et je n’ai pas été remplacée. » Chaque absence non compensée des aides aux enfants handicapés fragilise sa scolarité, malgré l’obligation de continuité pédagogique pour chaque élève.

Sur Leboncoin, la petite annonce pour recruter des AESH à Rennes n’est pas la seule concernant l’Éducation nationale. Et encore une fois, ce sont des parents d’élèves qui ont dû prendre le relais du personnel enseignant exténué. Dans un autre établissement breton, l’école élémentaire Julie Daubié à Saint-Ségal, cette fois dans le Finistère (29), ils ont posté un « avis de recherche urgent ». Il a été rédigé pour manifester contre la fermeture de classe décidée par l’inspection académique, suite aux évolutions de la carte scolaire – 58 autres fermetures sont prévues dans le Finistère. Les parents de l’école de Louargat, dans les Côtes-d'Armor (22), ont eux carrément mis la classe de leurs enfants en vente pour un euro symbolique sur Leboncoin et Facebook. Ils protestent également contre sa fermeture qui devrait entraîner l’accroissement du nombre d’élèves par classe. Même combat pour les parents de l’école de Flavignac en Haute-Vienne près de Limoges (87).

« Tout le monde n’est pas armé pour se défendre », réagit Yoann, le père rennais. « Il faut être en capacité d’écrire des mails, de faire des mises en demeure et d’aller en justice, de ne pas être perdu face aux réponses de l’administration… » Un constat partagé par Florence, à qui on exige plus que son poste initial. « Face à certains handicaps, je suis complètement désarmée », admet-elle. Florence ne se verrait d’ailleurs pas continuer plus longtemps, si elle n’arrivait pas à la retraite l’année prochaine. Tout comme Anne, qui elle, a décidé de partir en septembre dernier. « J’adore mon métier en vrai ! Mais aujourd’hui tout est trop compliqué », résume l’animatrice en milieu scolaire et périscolaire. « Les conditions de travail très très précaires », explique-t-elle.

« Notre travail, c’est du bidouillage », répète Fred, enseignant dans un collège breton. Il énumère tous les « petits trucs » qui s’ajoutent à son poste pour combler les failles du système. Il est pourtant d’un naturel serein et enchaîne les tâches les unes après les autres. « Mais au final, le temps consacré à la préparation des cours s’amenuise, parce que les journées font toujours 24 heures et le salaire est toujours le même. Tout ça, c’est du bénévolat. » Il se pose des limites afin que le collège n’empiète pas trop sur sa vie privée et celle de sa compagne, elle aussi enseignante. Il aime toujours son métier et s’y accroche. « J’essaie de prendre ce qu’il y a à prendre. On ne pourra pas tout sauver. » Même constat pour Yuna, l’institutrice en région parisienne. « Nos leviers d’action sont assez restreints. Je me forme auprès de syndicats et on échange beaucoup entre collègues. Mais cette question de l’école ne devrait pas être uniquement celle du personnel éducatif », explique-t-elle. « Le démantèlement de l’école publique concerne toute la société. »

SOURCE : https://www.streetpress.com/sujet/1712654163-travail-bidouillage-debrouille-impossible-sauver-ecole

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