Près d'un étudiant sur cinq se réoriente à bac +1 : ajustement, rupture ou échec ?

Alors que les lycéens découvrent leurs résultats sur Parcoursup, de nombreux étudiants en fin de première année se reconnectent à la plateforme dans l’optique de se réorienter. Près d’un étudiant sur cinq fait aujourd’hui ce choix après une année dans l’enseignement supérieur. Ce chiffre record met en lumière des enjeux cruciaux liés à la réussite, aux inégalités et à l’orientation.
Depuis les années 1960, la massification scolaire a permis une ouverture plus large vers le baccalauréat et les études supérieures. Pourtant, les inégalités perdurent, se réorganisent à travers la hiérarchie des parcours, la segmentation des filières ou les différences d’orientation selon l’origine sociale ou le genre.
Si l’accès à l’enseignement supérieur s’est démocratisé, il reste inégalitaire selon les filières. Le système français tend même à reproduire, voire renforcer les inégalités sociales, culturelles et scolaires, malgré l’idéal méritocratique revendiqué. Ces tensions se traduisent de manière très visible dans les trajectoires étudiantes post-bac, notamment par un taux élevé de réorientations après la première année.
Une réorientation perçue comme un réajustement
La réorientation n’est pas toujours un aveu d’échec. Elle constitue souvent une étape de redéfinition des parcours. Elle révèle à la fois les aspirations des jeunes et les limites d’un système qui, tout en se démocratisant, continue à reproduire les inégalités.
Dans un contexte de réforme du bac, des études de santé ou encore du DUT devenu BUT, on s’interroge : pourquoi autant de réorientations dès la première année ? Et quelles sont leurs conséquences ?
Notre analyse repose sur les données Parcoursup de 2018 à 2023. Elle concerne uniquement les étudiants s’étant réinscrits via la plateforme, excluant donc certaines écoles privées et classes préparatoires internes pour lesquelles les données ne sont pas accessibles.
Des ajustements progressifs de parcours
Contrairement à l’idée d’une rupture radicale, la majorité des réorientations s’effectue dans un univers disciplinaire proche. Les étudiants en licence de sciences humaines, droit ou sciences expérimentales restent généralement dans ces domaines ou s’en rapprochent. Ce n’est pas un saut dans l’inconnu, mais un ajustement progressif.
Certaines filières, comme la santé (Paces ou Pass), apparaissent comme des points de départ fréquents. Une part significative des étudiants s’en détourne après un an, vers des licences scientifiques, des diplômes du secteur sanitaire et social, ou parfois vers les filières juridiques ou littéraires. Le Pass, malgré sa réforme, reste un espace central de réajustement.
D’autres formations, comme les BTS, jouent le rôle inverse : elles deviennent des points d’arrivée privilégiés. Chaque année, elles accueillent un public venant de divers horizons : université, santé, sciences humaines…
À l’opposé, les licences en Arts, Lettres, Langues ou Droit, Économie, Gestion connaissent des flux internes relativement stables : les réorientations ne relèvent pas d’un changement radical, mais d’un rééquilibrage (choix d’établissement, options, contenu…).
Au final, les parcours étudiants se complexifient. Les réorientations ne témoignent pas forcément d’une instabilité, mais bien d’une construction progressive du projet d’études, faite d’essais, de détours et de choix revus.
Des ressources inégalement mobilisables
En 2023, 73 % des étudiants en réorientation étaient titulaires d’un bac général, contre 68 % en 2019. À l’inverse, la part des bacheliers technologiques est passée de 22 % à 19 %, et celle des professionnels de 10 % à 8 %. En 2022, les bacs généraux représentaient 54 % des diplômés du bac. Cela confirme une plus forte réorientation des profils généraux.
Cette surreprésentation peut s’expliquer par une plus grande flexibilité, ou au contraire, par les barrières rencontrées par les autres profils. Cette logique se retrouve aussi dans les catégories sociales : les enfants de cadres représentaient 32 % des réorientés en 2023 (contre 30 % en 2019), tandis que ceux d’ouvriers ont chuté de 14 % à 11 %.
Les résultats au bac influencent également la réorientation : les étudiants sans mention représentaient 47 % des réorientés en 2018, contre 33 % en 2023. Les mentions « assez bien » sont devenues majoritaires en 2022. Ces évolutions s’expliquent par l’essor du contrôle continu dans l’évaluation.
Enfin, des écarts entre les sexes persistent : 59 % des réorientés en 2023 sont des filles, contre 41 % de garçons. Une tendance en hausse par rapport à 2018 (57 %/43 %). Ces différences reflètent à la fois les taux d’obtention du bac (93 % des filles contre 88 % des garçons) et les stratégies genrées d’orientation.
La réorientation suppose donc un ensemble de ressources : compréhension des dispositifs, stratégie dans les vœux, accompagnement, confiance en soi. Des ressources inégalement réparties, qui confirment les limites d’un système présenté comme méritocratique mais profondément inégalitaire.
Une première année devenue phase d’exploration
Les usages de Parcoursup ont évolué : la première année est de plus en plus perçue comme un moment pour expérimenter et, si nécessaire, se réorienter. Ce n’est pas un échec. Mais encore faut-il que le système accompagne cette pratique.
Actuellement, les politiques publiques ne sont pas adaptées à cette réalité. Peu anticipées, mal encadrées, les réorientations pèsent sur les profils les plus fragiles.
La gestion des places devient complexe : les lycéens et étudiants en réorientation utilisent la même plateforme, parfois tout en restant inscrits dans leur formation actuelle. Parcoursup, pensé comme un accès à l’enseignement supérieur, joue désormais aussi un rôle majeur – et flou – dans les réorientations.
Il est temps de changer de regard : la réorientation n’est pas un échec, c’est une preuve d’adaptation. Encore faut-il que les outils institutionnels suivent, pour éviter d’aggraver les inégalités. Adapter les aides financières, les logements, les dispositifs d’accompagnement est indispensable pour soutenir les mobilités étudiantes et éviter que la première année ne devienne un simple filtre social.

SOURCE : THE CONVERSATION

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