Réforme éducative au Maroc : analyse stratégique, fondements scientifiques et enseignements pour les chefs d’établissement

Par Ekole - Article de fond

Introduction : le Maroc, un cas d’école pour comprendre une réforme éducative moderne

La réforme éducative engagée par le Maroc depuis 2022 attire l’attention des institutions internationales, des chercheurs en sciences de l’éducation et des spécialistes du pilotage scolaire.

Contrairement à de nombreuses réformes pilotées par l’idéologie ou votées sans évaluation préalable, la réforme marocaine se distingue par trois caractéristiques fondamentales :

1. Elle est construite sur un diagnostic solide et documenté.
2. Elle s’appuie massivement sur les preuves scientifiques et les sciences cognitives.
3. Elle combine pédagogie, gouvernance, numérique, formation professionnelle et équité.

La Banque Mondiale parle d’un « tournant structurel » pour le système éducatif marocain (World Bank, 2022).

L’Express évoque « du jamais vu en si peu de temps dans un pays francophone » (L’Express, 2025).

L’École Branchée affirme que « le Maroc est en train d’opérer une modernisation pédagogique fondée sur la recherche, rare dans l’espace francophone » (École Branchée, 2025).

Pour les chefs d’établissement français, dans ou hors AEFE, ce cas mérite une analyse approfondie.

1. Le diagnostic marocain : comprendre l’urgence d’une transformation

Les réformes marocaines ne se sont pas faites sur un simple changement politique. Elles s’appuient sur un constat étayé par vingt années d’études nationales et internationales.

1.1. Des acquis insuffisants et un retard dans les fondamentaux

Selon les données publiques ministérielles et les analyses indépendantes (L’École Branchée, World Bank 2022) :

• 70 % des élèves en fin de primaire ne maîtrisaient pas les fondamentaux.
• 90 % des collégiens n’atteignaient pas les niveaux attendus.
• Les écarts entre zones urbaines et rurales atteignaient parfois plusieurs années scolaires.

Les comparaisons internationales démontraient également une faiblesse marquée en :

• compréhension écrite,
• mathématiques,
• raisonnement scientifique.

Cette situation, documentée notamment par le Policy Center for the New South (2024), a mis en évidence une perte d’efficacité du système.

1.2. Inégalités structurelles et fracture territoriale

La massification scolaire n’a pas produit les résultats attendus.

Les inégalités sont restées très marquées :

• villages enclavés et zones rurales défavorisées,
• difficultés d’accès pour les filles dans certaines régions,
• manque d’infrastructures (internats, transports, équipements).

Selon UNESCO (2024), l’inégalité territoriale reste l’un des principaux facteurs limitant la progression éducative au Maroc.

1.3. Un décalage profond entre école et marché du travail

La Banque Mondiale (Education Sector Reform Project, 2021) et les travaux de ResearchGate (Ibnessiddiq, 2023) soulignent :

• un excès de diplômés généraux,
• un déficit de compétences techniques et professionnelles,
• une inadéquation formation-emploi,
• des difficultés d’insertion pour les jeunes diplômés.

Les entreprises marocaines, comme celles de nombreux pays émergents, peinent à recruter des profils opérationnels.

1.4. Gouvernance éducative insuffisamment pilotée

Les réformes précédentes ont été limitées par :

• l’absence de suivi-évaluation,
• une trop forte centralisation,
• une coordination institutionnelle fragmentée,
• un faible recours aux données,
• une formation initiale insuffisante des enseignants.

L’étude Questions Vives (OpenEdition, 2024) souligne notamment un « écart structurel entre la vision éducative affichée et la réalité opérationnelle ».

2. Une réforme éducative fondée sur la recherche : l’apport décisif des preuves scientifiques

C’est l’un des points majeurs de la réforme.

Il s’agit également d’un contraste frappant avec l’approche française, qui ne s’est jamais réellement appuyée sur les sciences cognitives à grande échelle.

2.1. L’enseignement explicite : un choix stratégique

La réforme intègre massivement les pédagogies structurées, notamment l’enseignement explicite :

Travaux scientifiques mobilisés :

• Barak Rosenshine (Principles of Instruction)
• Steve Bissonnette (Université TELUQ)
• Clermont Gauthier et Carl Gagnon (Université Laval)
• John Hattie (Visible Learning)
• Richard Mayer (Cognitive Theory of Multimedia Learning)
• Sweller et la théorie de la charge cognitive

Le Maroc ne se contente pas de s’y intéresser :

il déploie ces principes à grande échelle, notamment dans les écoles pilotes.

Selon L’Express (2025), les progrès en lecture et en mathématiques dans ces écoles sont « spectaculaires » et « rarement observés dans un pays francophone ».

2.2. Un modèle scientifique éprouvé et validé

L’enseignement explicite répond à plusieurs exigences identifiées par la psychologie cognitive :

• clarté des objectifs,
• modélisation par l’enseignant,
• pratique guidée,
• répétition espacée,
• feedback immédiat,
• consolidation,
• autonomie progressive.

Les élèves de milieux défavorisés sont ceux qui progressent le plus, comme le confirment les travaux de Bissonnette et Gauthier (2012–2021).

2.3. Un contraste net avec la France

La France a longtemps privilégié :

• l’intuition pédagogique,
• les approches non directives,
• la découverte libre,
• des réformes idéologiques parfois déconnectées de la recherche.

Les études de l’IFÉ (Institut Français de l’Éducation) soulignent d’ailleurs le retard français dans l’intégration des résultats scientifiques.

Le Maroc est aujourd’hui cité comme l’un des premiers pays francophones à avoir réalisé ce lien entre politique éducative et recherche scientifique.

2.4. Une réforme pilotée comme un protocole scientifique

La méthode utilisée est comparable à une démarche clinique :

• constitution d’écoles pilotes,
• comparaison de cohortes,
• évaluation avant/après,
• mesure des acquis,
• généralisation des pratiques démontrées comme efficaces.

Cette approche est fortement documentée par L’École Branchée et par les rapports internes du ministère marocain.

3. Les autres piliers de la réforme éducative marocaine

3.1. Modernisation curriculaire et nouvelle culture pédagogique

Le Maroc actualise ses programmes pour :

• intégrer les compétences du XXIe siècle,
• renforcer la place des langues étrangères,
• unifier les progressions pédagogiques nationales,
• structurer les séquences d’enseignement.

Le SHS-Cairn (2023) souligne que cette révision vise à replacer les fondamentaux au cœur des apprentissages.

3.2. Le numérique éducatif intégré dans une logique pédagogique

Contraste avec d’autres pays : le numérique n’est pas autonome, mais intégré dans des pratiques structurées.

Déploiements observés :

• tablettes éducatives,
• plateformes nationales,
• ressources numériques localisées,
• classes pionnières (626 écoles),
• pilotage numérique des données.

Les analyses de APANEWS (2025) montrent que ces investissements sont accompagnés d’une formation des enseignants, ce qui est un facteur déterminant.

3.3. La revalorisation de la voie professionnelle

Le Maroc fait de la voie professionnelle une voie d’excellence, comme le recommande la Banque Mondiale (2022).

Les campus métiers et l’alternance sont développés afin d’améliorer :

• l’employabilité,
• l’adéquation formation-emploi,
• le partenariat école-entreprise.

Cette logique rapproche école et économie, comme le souligne le Policy Center for the New South.

3.4. Une politique d’équité éducative prioritaire

Les mesures concernent :

• construction d’internats,
• transport scolaire,
• cantines dans les zones rurales,
• inclusion des élèves à besoins particuliers,
• lutte contre les abandons scolaires.

UNESCO (2024) identifie ces mesures comme clés pour réduire les écarts territoriaux.

3.5. Un pilotage par les données et une gouvernance modernisée

La réforme introduit :

• tableaux de bord régionaux,
• indicateurs de performance,
• évaluation systématique des programmes,
• formation des cadres et inspecteurs,
• décentralisation progressive.

Selon OpenEdition (Questions Vives), cette évolution rapproche l’école d’un modèle d’organisation apprenante.

4. Les défis persistants et les obstacles anticipés

Aucune réforme, même ambitieuse, n’échappe aux défis.

1. Résistance au changement dans certaines équipes.
2. Formation initiale encore insuffisante.
3. Maintien des équipements numériques.
4. Disparités territoriales structurelles.
5. Charge de travail élevée des enseignants.
6. Complexité de coordination entre acteurs.
7. Pérennité budgétaire à garantir.

Le Monde (2025) rappelle que ces défis pourraient ralentir l’impact si la gouvernance n’est pas consolidée.

5. Enseignements majeurs pour les chefs d’établissement français et internationaux

1. S’appuyer sur les sciences cognitives et les preuves.
2. Développer des pédagogies structurées.
3. Installer un pilotage de données internes.
4. Ancrer une culture d’établissement cohérente.
5. Former en continu l’équipe pédagogique.
6. Repenser l’orientation et l’employabilité.
7. Faire du numérique un outil d’apprentissage, pas un substitut.
8. Renforcer l’équité et l’inclusion.
9. Construire des partenariats externes.
10. Considérer l’école comme une organisation apprenante.

Conclusion

La réforme éducative du Maroc constitue un cas d’école unique dans l’espace francophone.

Fondée sur la recherche scientifique, la cohérence pédagogique, l’équité et le pilotage par les données, elle montre qu’une transformation profonde est possible lorsque :

• les décisions reposent sur des preuves,
• les enseignants sont formés,
• les pratiques sont structurées,
• la gouvernance est rigoureuse,
• l’école est connectée à son environnement économique et social.

Pour les chefs d’établissement, français et internationaux, cette réforme offre un ensemble de repères majeurs pour repenser les stratégies d’apprentissage, de pilotage et de transformation.

Bibliographie (sélection commentée)

• World Bank Group. « Morocco – Education Sector Reform Project: Performance Assessment Report » (2021-2022).
• UNESCO. « Policy initiatives on the right to higher education in Morocco » (2024).
• Policy Center for the New South. « Éducation au Maroc : progrès et perspectives » (2024).
• Bissonnette, S., Gauthier, C., & Gagnon, C. « L’enseignement explicite », Publications universitaires (2012–2021).
• Rosenshine, B. « Principles of Instruction » (2010).
• École Branchée. « Le Maroc réforme son école publique avec des pédagogies structurées » (2025).
• L’Express. « Une réforme basée sur la science révolutionne l’école marocaine » (2025).
• Le Monde. « Le Maroc veut remettre à niveau ses élèves du public » (2024).
• ResearchGate. Ibnessiddiq, M. « Educational Reforms in Morocco: Evolution and Current Status ».
• SNRT News. « PLF 2026 : Accélération de la réforme de l’éducation ».
• OpenEdition – Questions Vives. « La place de l’évaluation dans la réforme de l’éducation au Maroc » (2024).
• APANEWS. « Budget et innovations éducatives au Maroc » (2025).