Le CNRS veut guider la com’ de ses chercheurs

Un guide pour encadrer la parole scientifique
La direction du CNRS vient de publier un « guide de l’expression publique des scientifiques du CNRS ». Ce document détaille les nombreuses précautions qu’un scientifique doit prendre lorsqu’il prend – ou qu’on lui donne – la parole à la radio, à la télévision, dans la presse écrite ou sur les réseaux sociaux. Les conseils sont stricts et souvent pertinents. Ils s’appuient sur le travail approfondi du Comité d’éthique du CNRS sur « l’engagement public des scientifiques », publié en juin 2023.
Les dessins humoristiques (certains sont reproduits dans cet article) soulignent – volontairement ? – la complexité de certains de ces conseils. Comment préciser d’où l’on parle, au nom de quelles compétences et dans quel contexte, lorsque cette introduction consomme la totalité des trois minutes accordées ? Trois minutes, car le dessin ci-dessous illustre plutôt un format de type France Culture.
La direction du CNRS, sans donner d’exemples précis dans ce guide, alerte sur le risque d’abus de position scientifique, notamment lorsque le sujet abordé sort du champ de compétence du chercheur ou que le point de vue exprimé est personnel ou minoritaire dans la communauté scientifique.
Ce guide vise à renforcer la confiance de la société en encadrant la parole scientifique, croisant la liberté d’expression et la rigueur déontologique. Un enjeu aussi essentiel pour les journalistes, qui doivent s’interroger sur leur rôle de relais. Voici quelques pistes de réflexion.
Une critique acide d’un système frileux
Antoine Petit, président du CNRS, ouvre le guide en anticipant les critiques : « J’ai bien conscience que cette démarche pourrait être critiquée. Il nous est notamment souvent reproché de ne pas intervenir quand un scientifique du CNRS prend publiquement une position controversée. Et il est rare en effet que le CNRS le fasse. »
Cette remarque dépasse le cadre du CNRS et concerne aussi d’autres institutions comme l’Académie des sciences. Mais ce terme « controversée » agace. Lorsqu’un scientifique s’exprime sur une question encore débattue dans la recherche, il participe justement au progrès des connaissances. Pourquoi le présenter comme un problème ?
Le vrai danger : les mensonges et les manipulations
Le problème n’est pas la controverse scientifique. Le vrai danger apparaît lorsque des scientifiques mentent ou déforment délibérément les résultats et les méthodes scientifiques pour tromper le public et les décideurs.
Cela arrive. Un exemple ancien : le 11 mars 2008, Claude Allègre déclarait à l’AFP que « en 2007, la température moyenne dans le monde est la plus basse qu’il y ait jamais eu depuis 100 ans ». Ce n’est pas une position controversée, c’est un mensonge.
Les mesures scientifiques montrent que 2007 était l’une des années les plus chaudes depuis 1900. Pourtant, ce faux message a été largement diffusé et a durablement semé le doute, notamment entre 2008 et 2010, période où le climato-scepticisme a atteint un niveau record en France.
Quand les directions restent silencieuses
À l’époque, ni la direction du CNRS, ni celle de son institut des sciences de la Terre, ni l’Académie des sciences n’ont réagi publiquement. Ce sont de jeunes scientifiques, soutenus par quelques journalistes, qui ont fini par faire entendre une autre voix.
Les mensonges relayés par Claude Allègre et Vincent Courtillot ont été nombreux et violents. Pourtant, les institutions sont restées passives. Elles n’ont pas assumé leur rôle d’alerte auprès des citoyens, des élus et des médias.
L’exemple récent de la crise Covid
Plus récemment, lors de la pandémie de Covid-19, des scientifiques ont diffusé des messages mensongers sur la vaccination, mettant en danger la santé publique.
En août 2021, la direction du CNRS publiait un communiqué déplorant « les prises de position publiques de certains scientifiques, souvent plus soucieux d’une éphémère gloire médiatique que de vérité scientifique ».
Mais ce texte restait vague. Qui était visé ? Il a fallu insister pour apprendre que le sociologue Laurent Mucchielli faisait partie des personnes concernées. Pourquoi rester aussi flou quand des vies sont en jeu ?
La seule critique formulée par le CNRS concernait le non-respect des règles des publications scientifiques. Pourtant, il ne s’agissait pas seulement de procédures académiques : ces déclarations pouvaient conforter des comportements à risque, augmentant les décès.
De vrais engagements plus que des rappels
Un autre point dérangeant : que se serait-il passé si les auteurs de ces mensonges avaient été de jeunes chercheurs précaires ? Auraient-ils bénéficié d’autant d’indulgence ?
Le communiqué du CNRS se concluait en promettant de rappeler les principes de la charte française de déontologie des métiers de la recherche. Mais des rappels théoriques ne suffisent pas. La société a besoin de messages clairs et fermes, pour que journalistes et décideurs puissent nommer les faits : mentir n’est pas une controverse.
Antoine Petit écrit que les scientifiques ne choisissent pas ce métier pour parler au grand public et qu’ils n’ont donc aucune obligation de le faire. C’est vrai. Mais les directions des institutions scientifiques, elles, ont cette responsabilité.
Elles doivent intervenir quand un scientifique utilise son statut pour tromper les citoyens. Ce n’est pas agréable, mais cela fait partie de leurs missions, comme lorsqu’il s’agit de sanctionner une fraude scientifique.
Conclusion
Le guide du CNRS est un outil utile, mais il ne suffira pas à lui seul à préserver la confiance du public. Il faudra aussi du courage et de la clarté dans la communication des institutions scientifiques, surtout lorsque des scientifiques utilisent leur légitimité pour désinformer. Les rappels déontologiques doivent s’accompagner de positions fermes et publiques quand l’intérêt général est menacé.

SOURCE : LE MONDE

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