Les établissements d’enseignement supérieur face au défi de l’IA

Alors que l’intelligence artificielle (IA) donne l’impression de "tout savoir", certains acteurs du monde académique commencent à s’interroger sur l’intérêt de continuer à se former. Ce questionnement pourrait, à terme, remettre en cause le rôle fondamental des établissements d’enseignement supérieur (EES). C’est l’alerte lancée par le rapport "IA et enseignement supérieur : formation, structuration et appropriation par la société", remis le 10 juillet 2025 aux ministres Élisabeth Borne et Philippe Baptiste.
Ce rapport a été coécrit par François Taddei, président du Learning Planet Institute, et Frédéric Pascal, directeur de l’institut DataIA de l’université Paris-Saclay. Ils y formulent six recommandations concrètes, allant de la mutualisation des ressources à la création d’un institut national "IA, éducation et société", pour accompagner la transformation du monde académique face aux bouleversements liés à l’IA.
Une appropriation nécessaire mais encore insuffisante
Les auteurs du rapport insistent : "Les établissements d’enseignement supérieur ont un rôle majeur à jouer dans l’adoption massive de l’IA en France". Cette évolution doit cependant s’opérer tout en prenant en compte les nombreux risques associés. Or, ils relèvent une lacune préoccupante : l’absence actuelle de cadres clairement définis pour l’utilisation de l’IA au sein des établissements constitue un frein important à son intégration, notamment pour les personnels enseignants et administratifs.
Cette inertie pourrait empêcher les établissements de pleinement saisir les opportunités de l’IA. C’est pourquoi une réflexion systémique est indispensable pour impulser une dynamique d’appropriation collective et équitable.
Une mission stratégique initiée dès 2024
Ce rapport s’inscrit dans le cadre d’une mission sur "l’intelligence artificielle dans les pratiques pédagogiques", confiée en décembre 2024 par Patrick Hetzel, alors ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Cette mission visait à analyser les impacts potentiels de l’IA sur les pratiques pédagogiques, administratives et organisationnelles dans le monde académique.
Les auteurs partent d’un constat simple mais fondamental : puisque l’IA semble "tout savoir", une partie croissante des acteurs – étudiants, enseignants, citoyens – s’interrogent sur l’utilité de continuer à se former. Une telle perception pourrait profondément perturber les fondements même de la formation académique, si elle n’est pas rapidement et intelligemment adressée.
Un déficit criant de formations adaptées à l’IA
Le rapport observe que, si les formations traditionnelles destinées à développer des compétences techniques existent depuis longtemps, les formations croisées, c’est-à-dire intégrant les spécificités de chaque discipline à l’usage de l’IA ("X + IA"), sont encore largement sous-développées. Ce manque touche autant les étudiants que les enseignants ou les personnels techniques.
Pourtant, certains établissements commencent à initier des démarches pour intégrer l’IA à leurs programmes et à leurs pratiques pédagogiques. Beaucoup d’autres attendent encore un cadre clair, à la fois réglementaire et financier, pour pouvoir se lancer sans risquer de compromettre la qualité ou la légitimité de leurs actions.
Un impératif de transformation pour les établissements
Le rapport souligne que les établissements d’enseignement supérieur ne peuvent plus se contenter de leur rôle traditionnel. Ils doivent se transformer pour devenir de véritables catalyseurs de changement au sein d’une société apprenante.
En effet, l’inaction face à l’IA pourrait provoquer un hiatus profond entre les formations proposées dans les EES et les pratiques réelles des étudiants, qui évoluent déjà très vite grâce à l’IA générative et aux outils numériques. Ce décalage serait incompréhensible et préjudiciable pour les jeunes générations. Il est donc urgent d’agir pour rester en phase avec les besoins de la société.
Un plan d’action en six volets structurant
Pour aider les établissements à relever ce défi, le rapport propose six grandes actions prioritaires. Leur mise en œuvre nécessiterait un investissement global compris entre 300 et 500 millions d’euros sur les cinq premières années.
Mutualiser les ressources pour limiter les inégalités
Première recommandation : mutualiser les infrastructures, les contenus pédagogiques et les bonnes pratiques. Cette mutualisation passerait par la création de communs éducatifs, financés par l’État et partagés via une plateforme accessible à tous. L’objectif est d’éviter que certains établissements prennent une avance considérable, accentuant les inégalités déjà existantes dans l’enseignement supérieur français.
Former massivement étudiants, enseignants et personnels
La formation doit devenir un axe central de la stratégie IA. Tous les acteurs doivent être formés à l’IA (comprendre son fonctionnement, ses limites, ses usages) et avec l’IA (utiliser les outils dans leur métier). Chaque discipline devra adapter ses programmes pour répondre aux nouveaux besoins en compétences, et certaines formations plus spécialisées à l’IA "cœur" devront être développées.
Il s’agit aussi de repenser les modalités d’évaluation et d’utilisation de l’IA pour améliorer la réussite étudiante, sans tomber dans la triche ou l’automatisation excessive.
Encourager la recherche-action et l’expérimentation
La recherche doit jouer un rôle moteur dans l’appropriation de l’IA. Le rapport recommande la mise en place d’un programme national de recherche-action, permettant aux établissements de tester, documenter et partager des usages pédagogiques ou administratifs innovants.
Ce processus participatif pourrait également enrichir l’offre de formation continue, en lien avec les besoins évolutifs des professionnels et de la société.
Transformer les établissements grâce à l’IA
Le rapport insiste sur la nécessité de redéfinir les rôles dans l’enseignement supérieur : celui de l’enseignant, qui devient accompagnateur plutôt que transmetteur, mais aussi celui de l’étudiant, acteur plus autonome de son apprentissage.
Il appelle également à créer des tiers-lieux éducatifs ouverts à tous, favorisant la formation intergénérationnelle et citoyenne. L’objectif est de renforcer l’inclusion, la démocratie universitaire, et l’innovation sociale et technologique.
Développer des solutions techniques souveraines
Pour éviter la dépendance à des outils étrangers, le rapport propose de soutenir des data centers souverains, orientés vers l’enseignement et la recherche. En attendant leur déploiement, il convient de financer l’accès à des modèles d’IA européens et économes en ressources, accessibles à l’ensemble des personnels et étudiants.
Les initiatives déjà existantes, comme les plateformes sécurisées ou les partages de puissance de calcul, doivent être étendues à d’autres acteurs académiques.
Instaurer une stratégie nationale cohérente
Les cinq premières actions ne pourront voir le jour que si l’État porte une véritable politique nationale d’adoption de l’IA dans l’éducation. Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche doit intégrer cette priorité dans sa stratégie globale, en définissant des objectifs clairs, des règles d’usage et des moyens de mise en œuvre.
Pour coordonner cette ambition, le rapport préconise la création d’un institut national IA, éducation et société. Cet organisme fédérateur serait chargé de piloter l’ensemble des actions, d’évaluer leur efficacité, et de garantir une montée en compétence collective du monde académique face aux défis de demain.
En résumé
Le rapport Taddei/Pascal dresse un constat clair : l’IA est une révolution incontournable, et l’enseignement supérieur ne peut rester en marge. Plutôt que de subir cette transformation, les établissements doivent en devenir les architectes. À travers une stratégie structurée, collaborative et inclusive, ils peuvent non seulement préserver leur rôle dans la société, mais aussi le réinventer pour mieux répondre aux défis de demain.

SOURCE : AEFINFO

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