Malgré une phase de glaciation diplomatique, quelles stratégies les grandes écoles françaises mènent-elles au Maroc ?

Depuis environ vingt ans, le Maroc accueille les campus de grandes écoles d’ingénieurs et de management françaises dans des villes comme Casablanca, Rabat et Marrakech. Chaque institution a adopté un modèle de développement unique : certaines, comme Centrale Casablanca ou Arts et Métiers, se sont établies à la demande et aux frais du gouvernement marocain, tandis que d’autres, comme l’Essec, ont choisi d’étendre leur campus français. Leurs objectifs varient également : développement de la marque, soutien aux industriels, renforcement des mobilités internationales, etc. Après une période de tensions entre la France et le Maroc de 2021 à 2023, notamment à cause de l’affaire d’espionnage Pégasus, les relations se sont distendues. Le Maroc reste-t-il une terre d’accueil pour les établissements d’enseignement supérieur français ? Quels projets les écoles présentes sur place prévoient-elles pour 2024 ? AEF info fait le point.
De l’autre côté de la Méditerranée, les relations avec la France se renforcent également à travers des projets d’enseignement supérieur et de recherche. Bien que les doubles diplômes et les échanges académiques soient courants entre ces deux pays liés par une histoire commune, les établissements français disposant de leur propre campus au Maroc sont peu nombreux. Actuellement, quatre écoles d'ingénieurs – bientôt cinq avec le retour du groupe Insa – et trois écoles de management se concentrent dans trois métropoles : Rabat, la capitale ; Casablanca, le poumon économique ; et Marrakech, le joyau touristique.
Il existe une politique dynamique et volontariste du président de la République pour promouvoir l’enseignement supérieur français en Afrique, avec des projets de campus entre la France et d’autres pays, explique Gérald Brun, attaché de coopération scientifique et universitaire auprès de l’ambassade de France au Maroc, lors d’un entretien avec AEF info fin avril 2024. Depuis 2017, les établissements français au Maroc sont regroupés au sein du réseau AfricaSup, visant à faire du pays un "hub" de l’enseignement supérieur francophone en Afrique.
Parallèlement, les jeunes Marocains continuent de porter un regard favorable sur les grandes écoles françaises, ce qui justifie en partie leur implantation, souvent soutenue par le ministère marocain de l’Industrie. Les flux d’étudiants partant pour la France restent importants, d’autant plus que les deux pays partagent un système éducatif similaire, avec un baccalauréat donnant accès à l'université, à des établissements privés, des classes préparatoires ou des BTS.
Le Maroc, un vivier d’étudiants en constante progression
Selon les données de Campus France, le Maroc comptait 1,3 million d’étudiants en 2021, dont 95 % dans des établissements publics. De 2010 à 2020, le pays a connu une forte croissance de sa population étudiante, avec une augmentation de +162 %. En matière de mobilité, la France reste la première destination pour les étudiants marocains, attirant plus de 43 000 étudiants en 2023-2024, bien qu’il s’agisse d’une baisse de 4 % par rapport à l’année précédente.
Plusieurs crises géopolitiques ont tendu les relations entre les deux pays, en particulier l'affaire d'espionnage Pegasus et la restriction de la délivrance de visas aux ressortissants marocains en 2021. Gabriel Attal, alors porte-parole du gouvernement, avait annoncé un durcissement des conditions d’obtention des visas pour les habitants du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie. Ce climat tendu a duré jusqu’en 2023. Le 28 octobre 2024, Emmanuel Macron s'est rendu au Maroc pour sceller la réconciliation entre les deux pays.
Des opportunités multiples plutôt qu’une seule stratégie
Face à l’augmentation massive de la population étudiante marocaine et au besoin croissant en formation, comment les établissements français trouvent-ils leur place dans le Royaume, dans ce contexte géopolitique complexe ?
Selon Nadia Hachimi-Alaoui, enseignante-chercheuse en science politique à l’université internationale de Rabat, leur présence est davantage le fruit d’opportunités économiques que de stratégies délibérées. Ces opportunités coïncident avec la "marchandisation de l’enseignement supérieur en France", ce qui rend le paysage de l’enseignement supérieur français au Maroc "très éclaté".
D’après Béatrice Hibou, directrice de recherche au CNRS (Ceri/Sciences Po), les établissements préfèrent se redéployer au Maroc plutôt que d’attirer directement les étudiants marocains en France, une réponse à la crise des politiques de visas.
Des arrivées successives depuis les années 2000 avec des modèles et statuts distincts
TBS. Parmi les grandes écoles présentes, TBS Education a ouvert son premier site à Marrakech en 1987, puis a établi un campus à Casablanca en 2001, avant d'inaugurer son propre campus en 2017, obtenant les accréditations nécessaires du ministère marocain.
EGSI. Établie au Maroc depuis 2006, l’Eigsi est la plus ancienne école française d’ingénieurs présente dans le royaume. Frédéric Thivet, directeur général, souligne que cette implantation est en cohérence avec le soutien de partenaires comme Alstom. L’Eigsi a construit son propre campus, financé entièrement par ses soins, ce qui lui permet de contrôler la qualité de l’enseignement.
Centrale Casablanca. En 2014, Centrale Casablanca a été créée grâce à une "initiative conjointe" entre le gouvernement marocain et Centrale Paris. Gilles Fleury, délégué général du groupe des Écoles Centrale, explique que cette école offre une expérience multiculturelle qui pourrait apaiser les tensions géopolitiques.
Essec. En 2017, l’Essec a ouvert un campus à Rabat pour explorer le continent africain, avec le Maroc comme porte d’entrée. Hugues Levecq, directeur général de l’Essec Afrique, précise que l’école vise à attirer des étudiants du monde entier.
En 2024, Clermont School of Business a ouvert un campus à Marrakech. Les modèles des écoles de management se ressemblent, toutes proposant des programmes déjà existants en France. Arts et Métiers, en partenariat avec le ministère marocain de l’Industrie, lancera un cursus ingénieur à Rabat en 2024, visant à accompagner l’industrie française et à incarner l’industrie du futur.
Dans le viseur des écoles de management, des étudiants de tous les continents
Pour le recrutement, plusieurs stratégies sont mises en place. Les écoles de management cherchent à attirer des étudiants internationaux, y compris ceux venant d’au-delà de l’Afrique subsaharienne. Richard Soparnot, directeur général de Clermont School of Business, souligne l’objectif d’accueillir des étudiants d’au moins 15 nationalités différentes dans les cinq prochaines années.
L’Essec a établi une bourse spécifique pour les étudiants africains et recrute à l'international, attirant de plus en plus d’étudiants chinois ou indiens. Actuellement, l’Essec BS attire environ 250 étudiants sur son campus marocain, tout en ouvrant un parcours anglophone pour attirer des profils plus internationaux.
TBS Education, quant à elle, attire 500 étudiants dans ses programmes bachelor, MSc et MBA, dont 84 % sont marocains et 16 % viennent d'Afrique subsaharienne.
Le recrutement local privilégié par les écoles d’ingénieurs
Les écoles d’ingénieurs favorisent également le recrutement local. Centrale Casablanca propose un diplôme d’ingénieur d’État marocain, accueillant 600 étudiants, majoritairement issus de classes préparatoires marocaines, avec un haut niveau de sélectivité. Arts et Métiers, quant à elle, délivrera son diplôme d’ingénieur français à Rabat en 2024, tout en proposant un diplôme marocain.
L’Eigsi, qui délivre le même programme qu'en France, attire 70 % d’étudiants marocains et 30 % d’Afrique subsaharienne, principalement du Gabon, grâce à un système de bourses gouvernementales.
Les frais de scolarité des écoles françaises au Maroc
Les frais de scolarité pour l’Eigsi s’élèvent à 5 400 euros par an, contre 8 050 € en France. Centrale Casablanca fixe ses frais à 5 000 euros par an, tandis qu’Arts et Métiers propose également des frais de 5 000 euros, avec des options de prêts préférentiels. Les écoles de management, comme l’ESC Clermont, pratiquent des frais raisonnables, s'élevant à 7 000 euros par an au Maroc.
Des problèmes de partenariat mettant fin à des implantations
Toute implantation à l’étranger comporte des risques. L’EM Lyon, par exemple, a fermé son campus à Casablanca en 2023 en raison d'un partenariat déséquilibré, tandis que le groupe Insa a décidé de fermer son campus à Fès pour des raisons similaires.
Cependant, le groupe Insa projette de s’implanter à Rabat avec l’université Mohammed-VI Polytechnique pour développer des formations innovantes en réponse aux besoins du continent africain.
Parmi les obstacles, la concurrence accrue et l’obtention des accréditations
Les écoles françaises au Maroc font face à une concurrence accrue. L’Essec peine à attirer des primo-entrants sur son campus, en raison d’un choix important pour les étudiants, qui préfèrent souvent Paris. TBS Education subit également la concurrence d’écoles marocaines de premier plan.
Laurent Champaney, DG d’Arts et Métiers, évoque les défis liés à l’obtention des accréditations des deux pays, soulignant que la coordination des référentiels complique la situation.
Le développement de la mobilité pour les écoles de management
TBS Education prévoit d’ouvrir un nouveau campus à Casablanca en 2025, tout en diversifiant ses viviers de recrutement. L’Essec, de son côté, cherche à développer des parcours spécifiques sur des problématiques africaines, en créant des partenariats avec des établissements marocains.
L'ouverture de programmes post-bac pour les écoles d’ingénieurs
Centrale Casablanca envisage d’agrandir son campus pour intégrer des start-up et développer la recherche. L’Eigsi, quant à elle, prévoit de lancer un diplôme en management des systèmes industriels en 2024.
Un affichage plus clair des grandes écoles françaises
Les enjeux de développement au Maroc sont multiples. Le pays souffre d’un manque d’ingénieurs, et l’enseignement supérieur est une priorité. Le réseau AfricaSup pourrait renforcer la visibilité des écoles françaises, mais nécessite une action collective pour marquer un positionnement.
Les étudiants marocains se tournent de plus en plus vers d’autres destinations, comme l'Espagne, avec une augmentation de +141 % d'étudiants maghrébins entre 2016 et 2021, selon Campus France.

SOURCE :AEF INFO

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