May 2025

Comment accompagner les élèves dans l’usage de l’IA ? L’expérimentation d’un lycée dijonnais met en lumière les leviers de réussite

Alors que le Conseil supérieur des programmes s’apprête à faire des propositions pour intégrer la culture de l’intelligence artificielle (IA) dans les enseignements, une expérimentation menée au lycée international Charles-de-Gaulle à Dijon, dans l’académie de Dijon, fournit des pistes concrètes. Tous les élèves de seconde de l’établissement ont bénéficié, en janvier et février 2025, d’une formation aux enjeux et usages de l’IA. Cette initiative, portée par le chef d’établissement et une équipe de dix enseignants de disciplines variées, a permis de dégager les "facteurs clefs du succès", souligne la rectrice de Dijon, Mathilde Gollety, qui a visité l’établissement le 18 avril 2025.

L’objectif ? Faire des élèves des utilisateurs actifs et critiques de l’intelligence artificielle, en les sensibilisant à ses fondements techniques, ses usages et ses impacts. Au total, 400 élèves répartis dans 12 classes ont suivi six modules d’une heure, conçus par les enseignants eux-mêmes, sans recours direct aux outils numériques.

Une formation pluridisciplinaire, hors écran, centrée sur la compréhension des enjeux

À l’origine du projet, Dominique Javel, proviseur du lycée, a confié dès 2023-2024 au référent numérique de l’établissement, Mickaël Bertrand, la mission de former les enseignants à l’IA. Ce dernier explique que pour beaucoup d’entre eux, l’IA est d’abord perçue comme un outil favorisant la triche. Cette formation interne a suscité l’envie d’aller plus loin : "Nous nous sommes dit que cela vaudrait la peine de construire une formation pour nos élèves, pour qu’ils comprennent comment l’IA marche et pour qu’ils ne soient pas des utilisateurs passifs", témoigne Dominique Javel.

Contrairement au module IA de la plateforme Pix, souvent réalisé en autonomie hors de la classe, l’approche retenue est volontairement "hors écran", afin d’ancrer les contenus dans une démarche pédagogique active et critique. L’équipe enseignante pluridisciplinaire a conçu six modules abordant :

l’histoire de l’intelligence artificielle, depuis l’Antiquité et les premiers algorithmes ;
les bases techniques de l’IA et son fonctionnement ;
les enjeux éthiques ;
les enjeux sociaux et environnementaux ;
les liens entre IA et apprentissage des langues ;
l’apprentissage du prompting, c’est-à-dire de la formulation efficace de requêtes.

Éveiller l’esprit critique des élèves et les sensibiliser aux enjeux géopolitiques

"Les élèves de seconde sont confrontés au premier chef à la question de l’IA qu’ils utilisent sans réflexion préalable", souligne Dominique Javel. ChatGPT, par exemple, est largement utilisé. L’expérimentation a permis de leur présenter d’autres outils et de les sensibiliser à des enjeux plus larges, comme la protection des données et les biais géopolitiques.

Mickaël Bertrand rapporte ainsi avoir évoqué avec les élèves l’arrivée de nouveaux acteurs, comme DeepSeek, outil d’origine chinoise, et les limites induites par la censure d’État. Il a également présenté DuckDuckGo AI Chat, une alternative plus respectueuse des données personnelles mais parfois jugée moins performante. "Cela permet de comprendre pourquoi certains outils paraissent meilleurs, mais aussi ce qu’on sacrifie en échange", explique-t-il.

Un engagement reconnu par un open badge

Les six heures de cours ont été placées sur des plages horaires libres, en dehors des horaires habituels, mais ont été rendues obligatoires, avec l’accord des familles. Les élèves n’étaient pas tenus de créer un compte sur les plateformes d’IA : les démonstrations ont été réalisées par les enseignants.

À l’issue de la formation, les élèves ont obtenu un open badge, adossé à la plateforme BravoBFC, permettant de valoriser cette compétence acquise. Le rectorat a soutenu le projet, avec la Cardie et la DRNE, via une enveloppe permettant de rémunérer les enseignants à hauteur de six heures supplémentaires – un temps inférieur à l’investissement réel, note Dominique Javel.

"Si l’on veut répondre à la commande institutionnelle de développement de la culture de l’IA, il faudra aller plus loin", alerte-t-il, pointant les limites budgétaires actuelles.

Une expérimentation inspirante, à valoriser et diffuser

Pour la rectrice Mathilde Gollety, cette expérimentation est exemplaire et pourrait être étendue dans d’autres établissements de la région académique. Elle identifie plusieurs leviers de réussite :

un portage fort de la direction ;
un "facilitateur" interne, en l’occurrence le référent numérique, capable de fédérer une équipe ;
une approche collective permettant aux enseignants d’exprimer leurs craintes, de se former et d’évoluer ensemble.

"La formation des enseignants est indispensable. L’IA implique une transformation de la posture pédagogique : on passe d’une transmission verticale des savoirs à un accompagnement fondé sur l’esprit critique, la sélection des sources, la capacité à croiser les informations", analyse-t-elle.

Une dynamique régionale déjà engagée

La rectrice estime que l’académie est prête à accompagner une généralisation progressive, en s’appuyant sur ses partenaires : EAFC, Canopé, Clemi, Inspé, DRNE… "Nous avons déjà organisé deux séminaires à l’échelle de la région académique en 2024 et 2025. Le dernier, en janvier 2025 à Besançon, a réuni plus de 300 participants, avec ateliers et interventions d’experts."

Elle n’envisage pas une systématisation rigide mais plutôt une intégration souple de ces modules dans les programmes, en fonction des disciplines. "Si je prends le module sur l’IA et les langues vivantes, je ne pense pas que l’on dévoie le programme en y consacrant une heure. Il faut faire confiance aux équipes pour trouver les bons formats."