Il est désormais nécessaire de démocratiser les manuels scolaires

Patrice Lamothe, cofondateur de la plateforme collaborative Pearltrees, réagit dans une tribune au Monde aux polémiques autour de la disparition supposée des manuels scolaires, qu’ils soient physiques ou numériques. Pour lui, un manuel « ne se définit plus ni par son matériau, ni par son format, ni par sa mise en page », mais par sa capacité à structurer la connaissance.

Les manuels scolaires jouent un rôle central dans la société : ils façonnent les critères par lesquels les citoyens comprennent, discutent, votent et décident. En organisant le passage de la science à l’enseignement, ils établissent ce que les épistémologues appellent la « science normale », cristallisent le consensus scientifique et constituent l’armature de notre savoir commun. Dans un monde où les repères institutionnels, géopolitiques et scientifiques évoluent rapidement, le rôle des manuels est plus crucial que jamais.

Une crise majeure de l’édition scolaire

La campagne menée par certains grands groupes d’édition contre la prétendue disparition des manuels risque de désinformer le public. Plutôt que d’éclairer, elle entretient des fantasmes sur l’intemporalité du papier ou crée des confusions sur les pratiques numériques. Derrière cette façade, l’édition scolaire traverse une crise profonde, avec des enjeux économiques et pédagogiques considérables.

Concentration et perte de pluralité

Pendant longtemps, la diversité des maisons d’édition a structuré le secteur, assurant au moins la pluralité des manuels et l’indépendance de leurs créateurs. Cette diversité garantissait une certaine liberté pédagogique aux enseignants. Aujourd’hui, la concentration du marché a bouleversé cet équilibre : trois grands groupes, contrôlés par Vincent Bolloré, Daniel Kretinsky et la famille Albin Michel, dominent désormais l’ensemble du secteur. Cette centralisation pose un risque sur l’indépendance et la richesse des contenus proposés aux élèves.

Nouvelles capacités technologiques

La transformation des structures traditionnelles entraîne des bouleversements dans les organisations, les discours et les normes. Comme le souligne un article du Nouvel Obs du 9 septembre, les pratiques de communication incluent désormais manipulations, demi-vérités et rumeurs. Si ces méthodes sont fréquentes dans d’autres secteurs, elles sont problématiques pour l’éducation, où l’exactitude et la rigueur sont essentielles.

Pour Patrice Lamothe, le numérique représente une opportunité majeure pour démocratiser les contenus pédagogiques. Les plateformes collaboratives, les manuels interactifs et les outils en ligne permettent aux enseignants et aux élèves de personnaliser l’apprentissage, de combiner plusieurs sources et de rendre la connaissance plus accessible. La technologie ne remplace pas le manuel traditionnel, mais elle offre une liberté pédagogique renforcée.

Vers une démocratisation des contenus

Lamothe plaide pour un modèle ouvert et participatif, où le manuel scolaire devient un outil vivant et collaboratif, mis à jour en temps réel et enrichi par les enseignants et chercheurs. Une telle approche favoriserait l’égalité d’accès aux savoirs, quel que soit le contexte économique ou géographique des élèves. Elle permettrait également de réduire l’emprise des grands groupes et d’assurer une plus grande diversité de points de vue et de méthodes pédagogiques.

Un futur hybride et interactif

L’avenir des manuels scolaires est selon lui hybride et interactif : intégrant à la fois le numérique et le papier, ils doivent être conçus pour être adaptables, modulables et accessibles à tous. Ce changement ne consiste pas seulement à moderniser les supports, mais à repenser la pédagogie elle-même, à donner aux enseignants et aux élèves des outils qui reflètent la complexité et la diversité du savoir contemporain.

En démocratisant les manuels, l’éducation pourrait ainsi mieux répondre aux défis d’aujourd’hui et de demain, en combinant rigueur scientifique, liberté pédagogique et innovation technologique.

SOURCE : lemonde.fr