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ÉDUCATION
20
June 2024

Éducation et citoyenneté : Quel indicateur pour une classe d’âge disciplinée ?

Dans le cadre de notre exploration des indicateurs de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR), une question émerge naturellement : quels critères de performance pourraient répondre aux objectifs croissants d'autorité dans l'éducation ? Autrement dit, quelles mesures pourraient assurer, par le biais d'une gouvernance à distance, une discipline renforcée au sein des classes d'âge ? Bien que ces objectifs ne soient pas actuellement intégrés dans les indicateurs de performance en vigueur, deux propositions concrètes sont déjà sur la table.

Depuis plusieurs décennies, notamment depuis l'avènement de l'autonomie des universités avec la loi Pécresse de 2007, la gouvernance à distance s'affirme dans l'enseignement supérieur et la recherche. Cette approche repose sur les principes du nouveau management public, utilisant des critères de performance susceptibles d'être assortis d'incitations. Les acteurs sous cette gouvernance sont alors récompensés ou sanctionnés en fonction de l'atteinte ou non des objectifs fixés. Cette doctrine permet à l'État de jouer un rôle de stratège en définissant des orientations sans se soucier directement de leur mise en œuvre.

Pour mettre en œuvre cette gouvernance, l'État doit traduire ses objectifs en indicateurs concrets et prévoir des incitations pour s'assurer que ses directives sont effectivement suivies par les entités décentralisées. En d'autres termes, il doit quantifier ces directives. Cependant, même pour des missions concrètes, cette quantification peut être complexe et présenter des effets potentiellement néfastes, comme l'ont illustré divers articles de réflexion sur le sujet. Plus l'objectif politique envisagé est éloigné de ce qui est quantifiable, plus cette mise en chiffres devient délicate et risquée. C'est particulièrement le cas pour l'éducation et l'enseignement supérieur lorsqu'il s'agit de politiques idéologiques, telles que la formation des futurs citoyens adultes.

Le gouvernement actuel a déjà avancé deux propositions concrètes dans cette direction : l'une concernant le parcours académique des élèves, et l'autre portant sur la gestion des établissements d'enseignement supérieur.

"Défendre l'autorité commence dans les salles de classe"Dès son arrivée au Ministère de l'Éducation Nationale, M. Gabriel Attal (aujourd'hui Premier Ministre) a réorienté sa communication et ses actions vers "la bataille de l'autorité", proposant des mesures visant à renforcer la discipline tant physique que mentale, avec une approche résolument directive : "L'autorité à l'École ne se conteste pas, elle se respecte", "Celui qui casse répare. Celui qui salit nettoie. Celui qui défie l'autorité apprend à la respecter".

Concrètement, M. Attal suggère que les élèves jugés "perturbateurs" soient "sanctionnés sur leur brevet, leur CAP ou leur bac et qu'une mention soit apposée sur leur dossier Parcoursup". Une proposition similaire a été avancée pour encourager la participation des jeunes au Service National Universel (SNU), une forme de stage lycéen à caractère paramilitaire. Bien que cette proposition manque de précision, elle nécessite une évaluation chiffrée, même indirecte, du comportement des élèves pour être prise en compte dans l'attribution des diplômes et des places dans l'enseignement supérieur.

En d'autres termes, M. Attal propose de réduire l'importance des performances académiques au profit des comportements dans la détermination des parcours et des certifications scolaires. Ainsi, un élève performant, mais jugé "perturbateur" pourrait perdre sa place sur Parcoursup au profit d'un élève moins brillant, mais mieux aligné sur les attentes institutionnelles de M. Attal. On perçoit déjà les risques associés à la subjectivité du terme "perturbateur", sujet à interprétation variée et influencé par de nombreux facteurs externes à l'élève lui-même.

Il est à noter que les dossiers de candidature à Parcoursup peuvent déjà inclure des informations comportementales à travers les bulletins scolaires. Cependant, il existe une différence fondamentale entre une commission d'examen des vœux qui décide d'en tenir compte et un gouvernement qui impose leur prise en compte, y compris dans l'octroi de diplômes comme le brevet et le bac.

"Autonomie de l'enseignement supérieur et valeurs républicaines"Au-delà des performances académiques, M. Attal s'intéresse également aux activités para-académiques : "Depuis plusieurs années, à Sciences Po et dans d'autres établissements, des débordements scandaleux se sont multipliés en raison d'une minorité active et dangereuse". L'idée ici n'est pas de sanctionner directement les élèves et les étudiants pour leur comportement, mais de sanctionner les établissements qui permettent une expression trop libre des étudiants en dehors du cadre idéologique établi par l'État.

Pour atteindre cet objectif, M. Attal propose une mesure très concrète pour Sciences Po : "l'exigence de sérénité des débats et ce retour à l'apaisement fera partie des critères du Contrat d'Objectifs, de Moyens et de Performance (COMP) de l'établissement et constituera un axe prioritaire de la feuille de route de la future direction". L'idée est double : d'abord, contrôler la nomination d'une direction en accord avec ces objectifs et inscrire cet engagement dans sa feuille de route, définissant ainsi un mandat officiel pour promouvoir ces objectifs ; ensuite, intégrer "l'apaisement" dans le COMP de l'établissement.

Là encore, la question de la définition précise de "l'apaisement" et de sa traduction chiffrée se pose. C'est crucial, car les COMP visent à ajuster les subventions accordées aux établissements : ceux qui favorisent l'"apaisement" pourraient ainsi bénéficier de récompenses financières, tandis que les autres pourraient subir des sanctions économiques. Pour des établissements déjà fragilisés sur le plan financier, l'incitation à limiter les mouvements étudiants contestataires pourrait exercer une pression considérable, surtout dans un contexte où cette tolérance est déjà limitée. Les risques d'effets indésirables sont alors particulièrement élevés : réduire l'espace de mobilisation au sein des établissements ne ferait qu'accentuer les tensions et encourager les comportements excessifs.

Qui surveille les surveillants ? Bien sûr, ces propositions demeurent hypothétiques pour l'instant, et l'influence potentielle des tactiques électorales ne doit pas être sous-estimée. Elles pourraient également influencer le cadre des discussions publiques. Il est également possible que ces propositions se matérialisent à court ou moyen terme. L'État commence d'ailleurs à se doter d'outils pour suivre en temps réel les incidents liés aux comportements étudiants grâce à des plateformes comme "Dialogue".

Cependant, cela soulève la question fondamentale de savoir qui définit exactement les orientations de notre système éducatif en matière de formation, voire de formatage des futurs citoyens ? La réponse variera considérablement en fonction du pouvoir en place. La société produira des citoyens très différents selon qu'elle exige ou non que le comportement soit pris en compte dans Parcoursup, selon qu'elle considère une interruption de cours comme un trouble à l'ordre public ou comme une participation, selon qu'elle juge la participation à une organisation étudiante comme un acte citoyen ou comme une menace à l'ordre établi.

Dans tous les cas, l'enseignement de la citoyenneté - ou plutôt la mise en conformité des futurs citoyens - semble revenir sur le devant de la scène politique, après avoir été relégué derrière les missions de réussite académique et d'insertion professionnelle. On ne peut que déplorer que ce retour s'effectue pour l'instant dans une optique très réactionnaire : l'autorité de l'État sur les citoyens qu'il est censé servir.

SOURCE : EDUCATION PRO

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