Eduquer les générations futures à l’empathie : la proposition de Fabienne Brugère, philosophe

L'empathie devrait être au cœur de l'éducation des générations futures. Fabienne Brugère, philosophe, propose que, tout comme au Danemark, la France intègre l'empathie dans un programme éducatif sérieux et continu au sein de l'Éducation nationale. Cette initiative viserait à travailler sur la littérature et son pouvoir d'exemple, permettant aux élèves de mieux ressentir les émotions des autres et de développer ainsi la confiance entre les individus.

Une crise affective qui menace la démocratie

Notre pays traverse de nombreuses crises, mais l'une d'entre elles est particulièrement insidieuse : la crise affective des démocraties. Les institutions, incapables de répondre aux aspirations et aux colères des citoyens, sont de plus en plus déconnectées de la réalité du terrain. Le gouvernement, non représentatif, et un Président qui ignore les voix des citoyens, même lorsqu'il les consulte, exacerbent un sentiment général de frustration. Cette situation est d'autant plus préoccupante que les inégalités sociales et la crise climatique continuent de se creuser. L'écart entre les citoyens et leurs dirigeants s'élargit, alimentant un climat de méfiance généralisée.

Les émotions, clés de la démocratie

Dans ce contexte, la question des émotions devient primordiale. Les démocraties ont échoué à exploiter les émotions comme un levier pour renforcer leur cohésion et leur pérennité. Pourtant, la science a démontré que l'intelligence et la raison sont intimement liées aux émotions. Le travail de chercheurs comme Antonio Damasio, auteur de L'Erreur de Descartes : la raison des émotions, a révélé que l'intelligence se construit sur la base des émotions. En d'autres termes, les émotions ne sont pas un obstacle à la raison, mais en sont la fondation.

Malheureusement, les politiques des émotions ont été largement ignorées ou même perçues comme un danger dans les démocraties modernes. Elles sont souvent considérées comme une menace pour l'ordre établi, notamment par ceux qui craignent de perdre le contrôle du pouvoir. Cette vision a été confirmée par l'essor du populisme, qui joue habilement sur les émotions négatives telles que la peur, la haine ou la nostalgie de régimes autoritaires. Les mouvements populistes, qu'ils soient nationalistes ou conservateurs, exploitent ces émotions pour diviser et manipuler les masses, offrant des solutions simplistes face à des problèmes complexes.

Le besoin de "déverticaliser" le pouvoir

Face à ce constat, plusieurs personnalités du monde syndical, associatif, universitaire, ainsi que des essayistes et militants, se sont réunies pour réfléchir à des solutions afin de "déverticaliser" le pouvoir. Leur objectif est de restaurer l'envie de démocratie et de rendre les institutions plus proches des citoyens. Cela nécessite une révision profonde de la manière dont le pouvoir est exercé, en rétablissant un dialogue plus direct et plus empathique entre les dirigeants et les citoyens.

Le projet de Fabienne Brugère, en intégrant l'empathie au programme scolaire, est une première étape essentielle pour remettre l'humain et les émotions au centre du débat démocratique. Il s'agit de former des individus capables de comprendre et de partager les sentiments des autres, et de rétablir ainsi une confiance collective, essentielle pour la pérennité de la démocratie.

Restauration de l'empathie dans la société

Cela passera par une réintroduction systématique de l'empathie dans nos institutions éducatives, mais aussi dans la politique et dans les débats publics. C'est en développant cette capacité à se connecter émotionnellement aux autres que nous pourrons surmonter les divisions actuelles et construire une société plus solidaire et plus inclusive. La démocratie, pour être durable, doit être fondée sur des bases affectives solides, capables de transcender les logiques de confrontation et de repli.

SOURCE : LIBÉRATION