Éthique, pédagogie... : comment utiliser l'IA "à bon escient" dans les écoles d'ingénieurs

La Commission des titres d'ingénieur (CTI) a ouvert la réflexion sur la formation des ingénieurs à et par l'intelligence artificielle lors de son colloque annuel, qui s'est tenu les 3 et 4 février 2025 à l'Insa Lyon. Pour sa présidente, Claire Peyratout, l'objectif est de "former des ingénieurs compétents, créatifs et éthiquement responsables", ce qui suppose de repenser dès maintenant l'approche pédagogique. Les participants ont débattu des compétences à développer pour une maîtrise pertinente de l'IA et de la façon de renforcer l'esprit critique face à ces technologies. La question de l'évaluation des étudiants a également été abordée.

Pendant ces deux jours, plusieurs tables rondes et ateliers ont exploré l'éthique, la gouvernance et la régulation de l'IA à l'échelle européenne, ainsi que ses opportunités et risques pour les systèmes d'assurance qualité internationaux. L'enjeu principal était de déterminer comment utiliser l'IA "à bon escient" dans les écoles d'ingénieurs.

Une nécessaire transformation pédagogique

La CTI a profité du colloque pour faire le bilan de la campagne d'accréditation 2023-2024 et présenter les nouveautés du processus d'évaluation. Claire Peyratout a rappelé que "les technologies numériques et particulièrement l'IA redéfinissent en profondeur non seulement les industries, mais aussi la manière dont nous considérons l'enseignement supérieur".

Selon elle, il est essentiel d'intégrer cette transformation dès maintenant, en transmettant aux futurs ingénieurs une maîtrise des outils tout en les sensibilisant aux enjeux éthiques et sociétaux qu'ils impliquent. L'objectif est de les préparer à devenir des acteurs responsables de cette évolution technologique.

Une illusion de compréhension

Catherine Tessier, directrice de recherche et référente intégrité scientifique et éthique de la recherche à l'Onera, a mis en garde contre le risque d'illusion de compréhension engendré par l'IA générative. Selon elle, "apprendre, c'est faire des efforts pour comprendre", et l'utilisation de ces outils peut donner l'impression erronée qu'il n'est plus nécessaire d'acquérir des connaissances.

Elle rappelle que ces technologies reposent sur des corrélations statistiques entre des données préexistantes, ce qui signifie qu'elles peuvent produire des réponses qui ne sont pas toujours fiables. De plus, l'IA peut falsifier ou fabriquer des données, ce qui pose un risque en matière de fraude scientifique. Elle insiste sur l'importance de comprendre le fonctionnement de ces outils pour pouvoir les utiliser de manière critique et avertie.

Doter les étudiants "d'une culture de ces systèmes"

Yves Deville, professeur à l'École Polytechnique de Louvain, souligne que l'IA sera incontournable dans le monde professionnel. Il est donc primordial de former les étudiants à son utilisation responsable. Cependant, il note un écart important entre les pratiques des étudiants et celles des enseignants : 90 % des étudiants utilisent l'IA générative contre seulement 25 % des enseignants.

Samuel Nowakowski, maître de conférences à l'université de Lorraine, propose trois axes prioritaires pour la formation :

• comprendre le fonctionnement des outils pour pouvoir en poser les limites et en discuter,
• appréhender leur contexte sociétal, les modèles économiques sous-jacents et les conséquences de leur utilisation,
• apprendre à limiter leur impact environnemental en développant une véritable "culture des systèmes".

Il plaide pour une intégration intelligente de l'IA dans l'enseignement, en veillant à préserver les compétences humaines et à encourager l'analyse critique.

Choisir une IA : un choix éthique, politique et sociétal

Yves Deville met en avant la dimension éthique du choix des outils d'IA au sein des écoles d'ingénieurs. Il rappelle que déployer un outil comme ChatGPT dans un établissement n'est pas un choix anodin : cela implique d'accepter une certaine vision du monde, notamment influencée par la culture nord-américaine. Il recommande de privilégier des solutions européennes comme Mistral, tout en évitant des outils tels que Midjourney, jugés moins pertinents.

L'évaluation des étudiants doit également être repensée. Interdire l'IA aux examens ne ferait que passer à côté de l'opportunité d'apprendre à s'en servir efficacement. L'enjeu est donc de former les enseignants à ces nouveaux outils et de définir des consignes claires pour leur intégration dans les apprentissages.

Trois principes pour guider l'action des étudiants

Samuel Nowakowski insiste sur la responsabilité des ingénieurs face à l'IA et propose trois principes fondamentaux à transmettre aux étudiants :

• le principe de responsabilité, qui engage l'étudiant sur les outils qu'il utilise,
• le principe de transparence, qui l'oblige à expliquer quand et pourquoi il a recours à l'IA,
• le respect des droits d'auteur, indispensable pour garantir une démarche scientifique rigoureuse.

Un gain de productivité dans les entreprises, mais un impact environnemental majeur

Yves Nicolas, directeur du programme AI chez Sopra Steria, affirme que "le développement logiciel ne peut plus se faire sans IA" et qu'elle offre des gains de productivité significatifs. Toutefois, il met en garde contre son impact environnemental, qu'il qualifie de "désastre climatique". Pour répondre à ces enjeux, son entreprise travaille sur des modèles plus sobres et sur des applications réduisant l'empreinte carbone des activités industrielles.

SOURCE : AEF INFO