February 2025

intelligence artificielle : "on est tous capables d'identifier les copies ChatGPT"

Pour cet enseignant-chercheur, "il faut remettre l'IA à sa place"

Interdire l’usage de l’intelligence artificielle dans le milieu universitaire semble inutile. Toutefois, la question de la certification des compétences se pose avec acuité. Face à la montée en puissance de l’IA, les enseignants-chercheurs prônent son intégration et son enseignement, plutôt que son interdiction.

Une technologie incontournable

David Rousseau, enseignant-chercheur à l’université d’Angers, intervient en physique, mathématiques, biologie et géologie. Selon lui, l’intelligence artificielle touche tous les domaines et s’impose comme un sujet clé.

"Des modules d’initiation à l’IA vont se généraliser dans toutes les formations, explique-t-il. L’objectif est d’éviter à la fois l’émerveillement aveugle et le rejet excessif."

Dans ses domaines d’expertise, il estime que l’IA ne soulève pas de problématiques éthiques ou juridiques majeures.

"Elle permet de traiter rapidement un volume important de données", précise-t-il. Cependant, son utilité dépend de la quantité de données disponibles. Appliquer l’IA à toutes les recherches serait une erreur, car nous sommes encore en phase d’exploration."

Un bouleversement des pratiques pédagogiques

S’agissant de l’enseignement, David Rousseau reconnaît que l’IA impose une remise en question des méthodes traditionnelles. Il considère cette technologie comme une "béquille numérique" qu’il faut apprendre à utiliser correctement.

"Si un étudiant recourt à l’IA pour ses travaux, il doit être capable d’expliquer son processus, les interactions qu’il a eues avec l’outil et l’usage qu’il en a fait", souligne-t-il.

Dans cette optique, des ateliers sont organisés pour redéfinir ce que signifie lire, écrire, coder et calculer, y compris en tenant compte de l’IA. Ce bouleversement impose une réévaluation des méthodes d’évaluation. L’objectif est de maintenir les étudiants dans une dynamique active et réflexive, afin que l’IA ne prenne pas le pas sur leur propre raisonnement.

Paradoxalement, il considère comme absurde l’idée qu’un enseignant utilise une IA pour détecter dans les travaux d’un étudiant l’usage d’une autre IA.

Repérer les copies générées par IA

L’un des défis majeurs pour les enseignants est de garantir la validation des compétences des étudiants, à une époque où ceux-ci, après avoir largement utilisé Google et Wikipédia, se tournent désormais vers ChatGPT.

Le devoir sur table reste une solution fiable, puisqu’il empêche l’accès à l’IA. Mais qu’en est-il des travaux de groupe et des devoirs réalisés hors du cadre universitaire ?

"On est tous capables d’identifier les copies générées par ChatGPT", affirme Olivier Ertzscheid, enseignant-chercheur en sciences de l’information à l’université de Nantes. "Elles commencent souvent par les mêmes phrases et aboutissent aux mêmes conclusions. Certaines abordent même des notions complexes qui n’ont jamais été évoquées en cours."

Un outil à intégrer et à encadrer

Interdire l’IA semble impossible, tout comme il était vain de vouloir bannir Wikipédia à son apparition. "Ce sont des outils gratuits, accessibles et performants, largement adoptés par les étudiants", constate Olivier Ertzscheid. "Il est donc nécessaire de mettre en place des actions concrètes pour encadrer leur usage."

L’enjeu est d’enseigner l’IA comme n’importe quel autre outil, en expliquant son fonctionnement, ses avantages et ses limites. Il convient aussi d’aborder ses coûts écologiques et sociaux, notamment le travail des personnes sous-payées qui alimentent les bases de données.

Les biais des intelligences artificielles sont également une problématique importante. "Les bases de données sur lesquelles elles reposent ne sont pas toujours représentatives de la diversité du monde, et leurs réponses peuvent véhiculer des stéréotypes, qu’ils soient liés au genre ou à la race", avertit Olivier Ertzscheid.

"Les grandes figures de la tech américaine ne font pas de la lutte contre ces biais une priorité", ajoute-t-il. Modifier les bases de données d’entraînement est une tâche extrêmement complexe.

À l’époque où Wikipédia a émergé, la tentation de l’interdire a existé. Finalement, cette option s’est révélée inutile.

"Dans cinq ans, plus personne ne reprochera à un élève d’avoir utilisé l’IA, tant qu’il l’aura fait de manière intelligente pour nourrir sa réflexion", conclut l’enseignant-chercheur.

À Angers, une enquête menée en janvier 2025 auprès de 1500 étudiants issus d’une quinzaine d’établissements s’est penchée sur leur usage de l’IA. Les conclusions de cette étude ne sont pas encore publiées, mais elles devraient apporter un éclairage sur l’ampleur du phénomène et les évolutions pédagogiques à envisager.