L’art de dire merci : comment l’enfant apprend le « mot magique »

La politesse est une clé essentielle pour permettre aux enfants de se faire une place dans la société. Apprendre à dire « merci » est un chemin long et complexe, marqué par la répétition des formules et la compréhension des enjeux sociaux et affectifs du mot. Cette démarche se construit au fil du développement cognitif, social et langagier des enfants. À travers cet apprentissage, ils font leurs premiers pas vers l’intégration dans la communauté et le monde des relations humaines.
La période des fêtes et des cadeaux constitue un cadre idéal pour enseigner la reconnaissance et la gratitude. Le mot « merci », souvent utilisé pour exprimer de la gratitude, de l’appréciation ou simplement par politesse, devient une étape essentielle du développement de l’enfant. Il fait partie d’un processus plus large, où l’enfant apprend à comprendre les intentions des autres, à s’adapter aux normes sociales et à interagir affectivement.
Ce processus, appelé pragmatique, reflète la capacité à comprendre et produire des énoncés en fonction du contexte, des intentions des autres et des normes sociales. Il se forge progressivement grâce aux nombreuses interactions quotidiennes et aux expériences sociales, où les enfants sont amenés à comprendre leur rôle et leur place dans des scénarios sociaux récurrents.
De la maison à l’école : découvrir la « politesse des manières »
Dans son discours prononcé lors de la distribution des prix au lycée Henri IV en 1892, Henri Bergson souligne l’importance de la politesse. Pour lui, elle est une vertu qui peut et doit être enseignée dès le plus jeune âge. À mesure que les enfants grandissent et que leurs interactions sociales s’élargissent, l’école devient un lieu essentiel pour renforcer leur apprentissage de la politesse. Là, les enseignants et les camarades jouent un rôle central, en encourageant l’usage des formules de politesse, telles que « merci » ou « s’il te plaît », qui deviennent des normes sociales attendues.
Avant même d’entrer à l’école, dans le cadre familial, les enfants sont déjà introduits à la « politesse des manières ». Ce processus va bien au-delà de simples bonnes manières. Il s’agit aussi de leur apprendre à intégrer leur communauté sociale et culturelle, et à se développer en tant qu’individus. Les parents jouent un rôle clé en guidant leurs enfants à travers des pratiques normatives, mais aussi en mettant du « cœur » et de « l’esprit » dans leur enseignement, comme le recommandait Bergson.
Tout comme la politesse est un égalisateur social, les rituels de politesse, tels que dire « merci », deviennent des actions partagées, présentes dans les foyers des familles de la classe moyenne. Ces rituels permettent à l’enfant de s’inscrire dans un répertoire commun qui renforce son intégration sociale.
Dire merci : un apprentissage par étapes
L’apprentissage du mot « merci » se fait progressivement, et s’accompagne de différentes étapes. Ce processus montre comment l’enfant, avec le soutien des adultes, apprend à exprimer ses remerciements de manière de plus en plus précise et adaptée au contexte.
Étape 1 : Mise en place du script par l’adulte
Dès le plus jeune âge, la mère d’Anaé lui enseigne les règles de politesse en lui rappelant systématiquement de dire « merci » lorsqu’elle reçoit un cadeau ou un objet. À 18 mois, Anaé est encore réticente à obéir, mais sa mère, par des rappels constants, tente de la guider vers cette norme sociale. Le processus est ludique et devient un jeu à mesure qu’Anaé grandit, ce qui permet à la mère de renforcer l’apprentissage de son enfant.
Étape 2 : Accompagnement verbal lors du transfert d’objets
Entre 18 mois et 2 ans, Anaé commence à dire « merci » non seulement lorsqu’elle reçoit quelque chose, mais aussi lorsqu’elle prend un objet d’elle-même. Cette phase montre que l’enfant comprend progressivement que le mot « merci » fait partie d’un script social qui accompagne les échanges d’objets, mais qu’il ne maîtrise pas encore totalement la répartition des rôles dans cet échange. C’est un apprentissage qui repose sur des répétitions et des imitations des adultes.
Étape 3 : On dit « merci » à qui ?
À l’âge de 2 ans, Anaé commence à restreindre son utilisation de « merci » au rôle de destinataire du cadeau. Cependant, elle ne comprend pas encore pleinement le lien entre la personne qui donne et celle qui reçoit. Elle répète le mot par automatisme, sans saisir la véritable signification de l’échange. Ce n’est qu’avec le temps et grâce à l’accompagnement de sa mère qu’Anaé finira par comprendre que le « merci » est destiné à celui qui offre.
Étape 4 : Pleine appropriation par l’enfant de « merci »
À 3 ans, Anaé maîtrise pleinement l’utilisation de « merci » et l’adapte selon le contexte. Elle comprend maintenant que ce mot exprime sa gratitude envers la personne qui lui donne quelque chose. Elle est capable de dire « merci » de manière spontanée et sincère, accompagnée de gestes affectueux comme des sourires et des baisers. Elle ne se contente plus de répéter une formule, mais elle saisit la portée émotionnelle et sociale du mot.
Le « merci », ce mot magique, devient alors une clé essentielle dans les relations sociales de l’enfant, que ce soit lors des repas familiaux, à l’ouverture des cadeaux, en classe ou dans la cour de récréation. Il devient un outil de réciprocité et d’échange affectif, renforçant les liens sociaux autour de lui.
La leçon de Bergson : la politesse du cœur
Le parcours d’Anaé montre que l’apprentissage de la politesse, et en particulier du mot « merci », est un processus graduel qui repose sur l’imitation, les répétitions et le soutien des adultes. Selon Bergson, ce processus va au-delà de la simple adoption des « bonnes manières ». Il s’agit d’un apprentissage social et affectif qui permet à l’enfant de comprendre et de s’adapter aux codes de son environnement.
En effet, au début, l’enfant semble inverser les rôles dans le script de politesse, en exprimant des gestes ou des paroles qui ne correspondent pas encore à sa place dans l’échange. Cependant, à force de répétitions et d’accompagnement, il finit par comprendre la véritable fonction de « merci » : exprimer sa gratitude envers celui qui donne. Ce processus est un moyen pour l’enfant de prendre conscience de son rôle dans la société et de sa capacité à établir des relations sociales fondées sur la réciprocité et l’affection.
L’apprentissage de « merci » est donc bien plus qu’une simple leçon de politesse : c’est un chemin vers l’autonomisation sociale et affective de l’enfant, et un reflet de sa capacité à interagir harmonieusement avec les autres dans un cadre social donné.

SOURCE : THE CONVERSATION

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