L’écriture numérique : un défi pour l’enseignement ?

Une évolution constante de la maîtrise de l’écrit
L’apprentissage de l’écriture est un processus long et complexe, qui s'étend tout au long de la scolarité. Avec l’omniprésence des outils numériques, les repères changent : lire et écrire sur écran ne mobilise pas les mêmes mécanismes que sur papier. Du cahier au smartphone, les logiques se transforment, et cela demande une réflexion sur les modalités d’enseignement.
« L’écriture n’est pas en progrès ; il semble même qu’elle soit plutôt en décadence. » Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette phrase n’est pas tirée d’un discours récent. Elle date de 1889 et a été prononcée par Irénée Carré, inspecteur d’académie. Une preuve que la question de l’enseignement de l’écrit fait débat depuis des siècles.
Maîtriser l’écriture est un enjeu cognitif, mais aussi social. Elle permet l’insertion, la réussite scolaire et professionnelle, et la réflexion intellectuelle. Qu’elle soit manuscrite ou numérique, l’écriture façonne la pensée.
L’écrit, révélateur d’inégalités
La capacité à bien écrire agit comme un facteur de différenciation sociale. Elle favorise la réussite scolaire, universitaire et professionnelle, qui elle-même permet un enrichissement intellectuel durable. En ce sens, l’écriture représente bien plus qu’une simple compétence technique.
Sa place à l’école, jusqu’à l’université, reste donc essentielle. Et si les professionnels de l’éducation s’interrogent depuis longtemps sur la meilleure manière d’enseigner l’écrit, le numérique bouleverse encore davantage les méthodes. Car écrire sur écran ne revient pas simplement à transposer l’écrit papier : cela induit des comportements nouveaux.
Les spécificités de l’écriture numérique
Une activité cognitive multifacette
Écrire mobilise de nombreuses ressources cognitives : extraire des informations de sa mémoire, les transformer en texte, rédiger (à la main ou au clavier), évaluer ce qui est écrit, respecter la syntaxe, s’adapter à son lecteur…
Ces efforts sont encore plus importants lorsqu’il s’agit d’écrire dans une langue étrangère. Le manque de vocabulaire, le temps de traitement rallongé ou l’interférence de la langue maternelle compliquent l’exercice.
Les enjeux d’un nouvel environnement
L’espace numérique implique des compétences spécifiques. Il ne s’agit pas seulement d’écrire sur un écran, mais de comprendre l’environnement informatique : interagir avec des liens, commenter des articles, utiliser des émojis, des messageries instantanées, des IA génératives, ou encore collaborer sur un document partagé.
Toutes ces situations relèvent de l’écriture numérique, distincte de l’écrit simplement numérisé. Elles activent des processus inédits, absents dans l’écriture manuscrite.
Une attention facilement fragmentée
Le numérique peut aider à mieux apprendre grâce à des outils comme les correcteurs, les plateformes audio ou les liens hypertextes. Mais il peut aussi nuire à la concentration, en exposant à un flux constant d’informations ou à la tentation de naviguer en permanence d’un onglet à un autre.
Étude de cas : l’usage de DeepL dans l’apprentissage
Observer les pratiques réelles des étudiants
Dans mes recherches, j’ai étudié l’impact de la traduction neuronale, notamment DeepL, sur la rédaction en français langue étrangère. Des étudiants chinois ont rédigé deux essais : l’un sans aide, l’autre avec accès libre à DeepL.
Les écrans ont été enregistrés, permettant d’analyser en détail leur comportement : temps d’écriture, pauses, navigation, utilisation de la langue maternelle...
Des profils de rédacteurs très divers
L’étude a révélé des stratégies variées. Certains étudiants utilisent davantage leur langue maternelle et font plus de pauses, favorisant une réflexion globale sur le texte. D’autres écrivent plus directement en français, ce qui correspond aux attentes pédagogiques.
Cependant, passer fréquemment d’une tâche à une autre diminue les performances. Trop de changements augmentent la charge cognitive et affectent négativement la qualité de l’écrit.
Quelles stratégies pour adapter l’enseignement ?
Identifier les bonnes pratiques
Ces analyses permettent d’identifier différentes stratégies utiles à discuter en classe :
- traduire des expressions pour stimuler la rédaction ;
- alterner les langues pour clarifier des idées complexes ;
- utiliser le traducteur comme outil de correction ou d’inspiration ;
- comparer les versions pour progresser dans la langue cible.
Accompagner, sans court-circuiter l’apprentissage
Le recours aux traducteurs peut alléger certaines opérations de rédaction. Mais attention : éviter certains efforts peut nuire à l’apprentissage. L’enjeu est de guider les étudiants pour qu’ils développent progressivement des compétences autonomes, en résolvant des problèmes linguistiques complexes par eux-mêmes.
L’écriture numérique offre ainsi des opportunités pédagogiques, à condition de comprendre comment les outils influencent la manière dont les étudiants traitent et organisent l’information.

SOURCE : THE CONVERSATION

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