"On est complètement démunis" : la débrouille des profs de lycée face à la triche avec l'IA

Étudier à l'ère de l'intelligence artificielle
Oraux, devoirs à la maison, contrôles sur table... en seulement deux ans, l'intelligence artificielle (IA) a bouleversé le quotidien des professeurs et des élèves français. Alors que l'année scolaire se termine, des enseignants du secondaire partagent avec BFMTV.com les stratégies qu'ils ont mises en place pour tenter de garder le contrôle face à ce nouvel outil technologique.
À force de relire des copies produites par l'intelligence artificielle et non par la main de ses élèves, Grégoire* en a eu assez. Il y a deux ans, ce professeur de physique-chimie dans un lycée de Franconville (Val-d'Oise) a pris une décision radicale. "À l'arrivée de ChatGPT, ça a été clair et net, j'ai supprimé tous les devoirs maison".
"Donner des devoirs pour qu'au final, une IA fasse tout à leur place, moi ça ne m'intéresse pas", développe le professeur, blasé.
"Ce qui m'inquiète, c'est qu'en cherchant juste à améliorer leurs notes avec l'IA, ils ne retiennent rien. Qu'ils se fassent aider par un parent ou un ami, pourquoi pas, au moins ils apprennent quelque chose", résume l'enseignant.
La honte de l'utiliser semble tombée
Christophe Cailleaux, professeur d'histoire-géographie dans un lycée de Dijon (Côte-d'Or), observe lui aussi une utilisation massive de l'IA par ses élèves depuis deux ans. Il estime que son usage s'est banalisé: sur une classe de 31, seuls cinq lui ont confié ne jamais l'avoir utilisé cette année.
"La plupart d'entre eux trouvent ça logique d'avoir recours à ChatGPT. La honte ou la gêne à avouer qu'on l'a utilisé semble tombée".
L'arrivée fulgurante de l'IA fait trembler les rangs des profs. Christophe Cailleaux le constate: "Sur nos formations classiques, on rassemble entre 20 et 40 participants. Mais dès qu'il est question d'IA, ça décolle: à Lille, j'ai réuni jusqu'à 200 enseignants".
Une augmentation qui témoigne d'une véritable inquiétude. "Il y a une vraie préoccupation sur ce que ces IA font à nos élèves et sur l'impact que cela aura sur notre métier", souligne-t-il.
"Il faut prendre le sujet à bras-le-corps", alerte-t-il. "Ce n'est pas que l'IA est mauvaise en soi, mais ses effets et ses risques ne doivent pas être sous-estimés, d'un point de vue cognitif, éducatif, sanitaire, environnemental ou en matière de protection des données".
Pour déjouer l'IA, le système D des professeurs
Face aux risques de triche liés à l'IA, les enseignants renforcent leur surveillance lors des devoirs sur table: sacs au fond de la salle, matériel limité, écouteurs interdits, obligation d'avoir les oreilles dégagées comme lors d'un examen officiel.
Certaines précautions ont été prises après des cas flagrants de triche, comme cette année dans l'établissement de Christophe Cailleaux. Une élève a été surprise en train d'utiliser MathGPT en plein devoir surveillé: elle avait pris en photo l'énoncé, envoyé la question à l'IA et écoutait la réponse via des écouteurs. L'incident a été découvert par hasard.
Beaucoup d'enseignants se disent "désarmés" face aux nouvelles formes de triche facilitées par l'IA. Des logiciels comme Compileo ou Examino existent, mais leur fiabilité reste discutée. Les professeurs s'appuient donc sur leur connaissance des élèves pour repérer les incohérences, une technique difficile à défendre sans preuve concrète.
"On est complètement démunis. C'est de la débrouille", s'agace Grégoire. "Avec le portable, c'est pareil: on ne peut pas fouiller un élève, on ne peut rien faire. S'il va aux toilettes, qu'il consulte ChatGPT, on ne peut pas le vérifier. Et même en cas de triche avérée, on ne peut plus sanctionner par un zéro car c'est jugé 'traumatisant'".
Pouvoir agir sans avoir à prouver l'impossible
Pour contourner cette situation, Grégoire interroge ses élèves à l'oral en cas de doute. "L'an dernier, certains m'ont rendu des copies niveau licence. Une fois au tableau, certains ont fondu en larmes car ils étaient incapables de répondre".
"Je ne veux pas les accuser sans preuve. Les confronter à leur propre travail suffit souvent à comprendre", explique-t-il.
D'autres professeurs font preuve de créativité. L'enseignante de Mathurin a proposé un devoir maison avec une question dont la réponse ne se trouvait ni dans le documentaire visionné, ni sur internet. Bilan: sur 35 élèves, 34 ont utilisé ChatGPT.
Christophe Cailleaux estime que les enseignants connaissent bien leurs élèves et savent détecter les rédactions artificielles. Il appelle à une reconnaissance institutionnelle: "Il faudrait que le ministère nous soutienne clairement. En cas de doute fondé et partagé, qu'on puisse agir sans avoir à prouver l'impossible".
Ça arrange les élèves mais ils ne sont pas dupes
Depuis février, Christophe Cailleaux a participé à plusieurs réunions pour élaborer un "cadre d'usage de l'intelligence artificielle en éducation". Publié le 14 juin, ce texte définit un cadre national et inclut la question de la triche, longtemps sous-estimée.
Les élèves ne sont pas dupes. "Ça les arrange, mais ils se rendent bien compte qu'il y a quelque chose qui ne fonctionne pas", commente Christophe Cailleaux.
"Je leur donne souvent cet exemple: c'est comme faire de la muscu et demander à une machine de soulever les haltères à notre place. C'est plus facile mais ça ne sert à rien".
Quand l'IA fait débat en salle des profs
Les avis divergent chez les enseignants. Grégoire Borst, professeur de psychologie à l'université Paris Cité, estime qu'il ne faut plus traquer systématiquement l'IA.
Pour lui, notre système d'évaluation "essentiellement sommatif" doit évoluer. "Il faut apprendre aux élèves à utiliser l'IA intelligemment et développer l'évaluation formative pour construire les savoirs".
Christophe Cailleaux appelle à la prudence: "Ces technologies n'ont que deux ans et demi. Est-ce raisonnable de tout bouleverser si vite?" Il s'inquiète d'une numérisation rapide de l'école, loin des discours sur la sobriété numérique.
Dès la rentrée de septembre 2025, une formation obligatoire sera proposée aux élèves de 4e et de 2nde sur l'IA, ainsi qu'aux enseignants. Les modules aborderont le fonctionnement des IA, les données exploitées et leur impact environnemental.

SOURCE : BFM TV

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