Photos, IA et désinformation historique : l’enseignement de l’histoire face à de nouveaux défis

À l’heure où l’intelligence artificielle accélère la propagation de fausses images et de photos sorties de leur contexte, apprendre aux élèves à sourcer leurs informations est plus important que jamais. Les cours d’histoire doivent désormais inclure une formation à l’histoire numérique, facilitée par des outils comme le projet VIRAPIC, qui aide à repérer des photos virales.
Un problème grandissant de photos décontextualisées
Chaque jour, des images liées à des événements historiques sont mises en ligne sans être référencées – sans auteur, date, localisation ou lieu de conservation – et sans commentaire historique. Par exemple, cette photographie souvent utilisée pour illustrer les exactions des « mains coupées » dans le Congo de Léopold II, au tournant du XIXe au XXe siècle, est partagée sur des milliers de pages web sans mention de l’auteur ni contexte historique.
En 2018, une illustration sur la RTBF a publié cette photo, qui semble illustrer les exactions commises par les compagnies de caoutchouc au Congo. Mais sans connaître l’histoire de la photographie, que peut-on en déduire ? Le spectateur, observant les victimes et les Européens vêtus de blanc, interprète cette image selon ses propres perceptions, influencées par le contraste entre les deux groupes.
En réalité, cette photographie a été prise en 1904 par la missionnaire protestante Alice Seeley Harris pour dénoncer ces violences. Les deux hommes photographiés y participent activement à cet acte de résistance photographique, contribuant à sensibiliser l’opinion publique européenne contre les crimes dans l’État indépendant du Congo. Connaître l’intention et l’identité du photographe est crucial pour comprendre la complexité historique de cette photo, illustrant une « polyphonie morale » des sociétés européennes divisées sur la colonisation à cette époque.
Un brouillard numérique d’images décontextualisées
Il existe des milliers d’exemples similaires sur le web, où des photographies décontextualisées deviennent virales grâce aux algorithmes des moteurs de recherche et des réseaux sociaux. Par exemple, une photo censée représenter la Rafle du Vel d’Hiv de 1942 est en réalité celle de Français soupçonnés de collaboration après la Libération. Cette erreur a été largement diffusée, notamment par les moteurs de recherche. Google Images, pendant longtemps, plaçait cette photo dans les premiers résultats après la recherche des mots-clés « Rafle du Vel d’Hiv ».
Cette erreur ne concerne pas uniquement les historiens. Elle participe à une méconnaissance de l’événement, comme l’indique l’historien Laurent Joly, qui précise qu’il existe une seule photographie de la rafle, prise à des fins de propagande par les autorités allemandes, mais jamais publiée dans la presse.
Un défi pour les enseignants
Ces exemples doivent nous alerter sur l’utilisation illustrative des photographies, encore trop fréquente dans l’édition scolaire. En raison du manque d’espace, les manuels n’offrent souvent qu’une légende sommaire sans commentaire pour éclairer ou confirmer les cours des enseignants.
Les historiens ont pourtant évolué dans leur utilisation des photographies ces dernières années, les considérant comme de véritables archives soumises à une analyse critique des sources. Cette approche devrait être généralisée dans l’enseignement de l’histoire pour aider les élèves à développer une critique documentaire, souvent résumée par la méthode SANDI (Source, Auteur, Nature, Date, Intention). Même si cette méthode est parfois perçue comme artificielle par les élèves, elle trouve tout son sens dans l’analyse des photographies.
En effet, le regard des élèves change radicalement une fois l’histoire de l’image connue. Cette approche documentaire est d’autant plus nécessaire aujourd’hui, alors que les élèves s’informent de plus en plus sur les réseaux sociaux, où des photos sont partagées sans scrupules méthodologiques et souvent accompagnées de visions complotistes.
Le rôle des IA dans la désinformation historique
Un autre défi est l’arrivée de l’IA : selon un rapport d’Europol, d’ici 2026, la majorité du contenu disponible sur le web sera généré par l’intelligence artificielle. Cela pourrait entraîner la publication de photos de plus en plus crédibles, mais fausses, utilisées pour propager des fictions déguisées en histoire.
La prolifération des IA génératives et l’accélération des échanges de photos inventées ou détournées constituent un défi majeur. Comment enseigner l’histoire aux élèves sans leur fournir les outils pour combattre la désinformation historique en ligne ? Comment expliquer l’environnement numérique dans lequel ils évoluent, sans proposer un cours d’histoire numérique ?
Un projet pour lutter contre la viralité de la désinformation historique
Pour répondre à ces défis, l’Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe (EHNE-Sorbonne Université) et le CERES-Sorbonne Université ont développé un nouvel outil : le projet VIRAPIC. Cette plateforme numérique vise à détecter les photographies virales lorsque celles-ci sont inventées, détournées ou décontextualisées des événements historiques qu’elles prétendent illustrer.
L’objectif est double : injecter des contenus historiques autour de ces images (source, légende, commentaire historique) et analyser la viralité numérique des photos (qui les publie ? Sur quels supports ? Quelle temporalité ?). VIRAPIC lutte contre la désinformation historique en améliorant le référencement du travail historique sur les moteurs de recherche.
L’originalité de cet outil est de permettre une intervention directe dans les pratiques des internautes grâce au référencement de l’Encyclopédie EHNE, dont les pages apparaissent parmi les premiers résultats sur Google Images. En constituant une base de données des photographies virales, détournées ou inventées autour des événements historiques, le projet VIRAPIC offre un accès rapide à des contenus historiques solides et critiques pour les élèves, enseignants et éditeurs souhaitant utiliser des images en ligne.

SOURCE : THE CONVERSATION

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