Professions paramédicales : enjeux et défis de l'universitarisation des formations

L'universitarisation des professions paramédicales constitue une transformation majeure des instituts de formation en France. Initiée en 2009 avec la formation infirmière, elle redéfinit les pratiques éducatives et interroge sur les compétences nécessaires pour un système de santé en pleine évolution.

Un processus en construction

Depuis 2019, des expérimentations ont été menées pour intégrer des instituts de formation paramédicale dans des universités à composante santé. Cette évolution, bien qu’avancée, reste inachevée. En mars 2024, un rapport conjoint de l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) et de l’IGÉSR (Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche) a mis en lumière les défis et les besoins liés à cette transition.

Quelques chiffres clés :

• 5 000 formateurs pour environ 140 000 étudiants paramédicaux.
• Parmi eux, 95 000 en IFSI (instituts de formation en soins infirmiers), 30 000 en réadaptation-rééducation et 10 000 en filière médico-technique.
• Seuls 55 % des formateurs en sciences infirmières sont titulaires d’un master 2.

Le rapport recommande notamment :

• La création d’un statut bi-appartenant clinique attractif et mixte, partagé entre milieux hospitaliers et universités.
• Le développement des parcours de recherche pour accroître le vivier des enseignants-chercheurs paramédicaux.

Vers un statut de bi-appartenance

Pour Marielle Boissart, directrice des soins au CHU de Rennes, un tel statut faciliterait une meilleure articulation entre la formation et la pratique clinique. "Cela aurait du sens de développer des postes partagés pour renforcer la balance formation/recherche", explique-t-elle.

Cependant, Véronique Lescop, présidente du Groupement de coopération sanitaire Ifsi Bretagne, considère cette évolution prématurée. Elle insiste sur la nécessité de d'abord définir un écosystème clair : "Il faut savoir quelles compétences nous voulons développer avant d’envisager des changements statutaires."

Une nécessaire acculturation

L'universitarisation exige une transformation des cultures professionnelles dans les instituts de formation. Les formateurs s'interrogent sur leur avenir, leur légitimité et les nouveaux profils attendus. À Strasbourg, par exemple, des initiatives visent à accompagner cette transition :

• Les formateurs bénéficient de comptes universitaires et d’un accès aux ressources académiques.
• Une maîtresse de conférences accompagne les étudiants paramédicaux jusqu’au master recherche.

Malgré ces avancées, "l'universitarisation implique une culture académique qui reste encore à ancrer dans les IFSI", rappelle Marielle Boissart.

Les universités, moteurs du changement

Les universités pilotent le processus, une responsabilité qui peut parfois générer des tensions. Jérôme Blanstier, coordinateur territorial pour l’université de Rennes, souligne que, bien que la co-construction existe pour certaines unités d’enseignement, des formateurs regrettent une perte d’autonomie pédagogique. Aujourd’hui, un tiers des enseignements est géré par l’université et deux tiers par les instituts de formation.

Des questions administratives restent également en suspens :

• Comment affilier les étudiants entre instituts et universités ?
• Comment garantir un accès équitable aux ressources académiques ?

Des défis au-delà de la formation

Pour Véronique Lescop, l'universitarisation soulève des enjeux systémiques : "Quelles compétences un pays doit-il développer pour répondre aux besoins de santé de sa population ? Comment attirer les bons profils ?"

Le recrutement via Parcoursup a déjà marqué une étape importante. Cependant, Jérôme Blanstier rappelle que "l’universitarisation seule ne suffira pas à rendre ces métiers attractifs. Une reconnaissance académique et professionnelle est essentielle."

La création d'une véritable filière en sciences infirmières apparaît comme une piste incontournable. "Le doctorat en sciences infirmières existe dans de nombreux pays, la France est en retard", déplore Véronique Lescop. Pour autant, certains plaident pour une approche plus intégrée, rattachant ces formations à d’autres disciplines pour favoriser une recherche interdisciplinaire.

Des perspectives à concrétiser

Si l'universitarisation offre des opportunités prometteuses, elle ne répondra pas à elle seule aux problèmes structurels, comme la pénurie de soignants. Pour Anne Charloux, vice-doyenne de la faculté de santé de Strasbourg, l'enjeu est clair : "Nous devons à la fois garder nos étudiants dans les professions de santé et leur ouvrir des perspectives universitaires."

Cette transition ambitieuse nécessitera des efforts conjoints entre les universités, les instituts de formation et les autorités de santé pour construire un système éducatif aligné sur les besoins de santé publique.

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SOURCE : ETUDIANT