Blog
ÉDUCATION
12
February 2025

"Si on n’a pas un gros caractère, c’est compliqué" : le difficile quotidien des lycéennes en spécialité mathématiques

"Si on n’a pas un gros caractère, c’est compliqué" : le difficile quotidien des lycéennes en spécialité mathématiques

Un peu moins d’une élève de Première sur deux abandonne les mathématiques en Terminale. Si la réforme du bac est souvent pointée du doigt, le sexisme dont sont victimes ces lycéennes joue également un rôle majeur dans cette désaffection. Leurs témoignages révèlent une réalité préoccupante.

Un climat hostile pour les filles en spécialité mathématiques

Les relations entre garçons et filles à l’adolescence sont déjà complexes, mais elles deviennent encore plus difficiles pour les lycéennes en spécialité mathématiques. Depuis la réforme du bac en 2018, elles sont en minorité : en 2021, seulement 31 % des élèves en maths expertes étaient des filles. Dans cet environnement, certaines doivent affronter quotidiennement des attitudes sexistes.

Sarah, en Terminale, en témoigne : "Les garçons ne nous parlent pas. Et quand on leur demande pourquoi, ils répondent que ça ne sert à rien de parler à une fille si ce n’est pas pour sortir avec." Les moqueries sont également fréquentes : lorsqu’un garçon obtient une note inférieure à l’une des rares filles de la classe, c’est la "honte".

Mégane, elle aussi en Terminale, raconte une scène marquante. Alors qu’elle était la seule à réussir un exercice, sa professeure a suggéré à un camarade de lui demander de l’aide. Il a refusé et s’est tourné vers un autre garçon à qui Mégane venait pourtant d’expliquer la solution. Elle subit aussi des remarques comme "Tais-toi, t’es une femme, retourne à la cuisine", lancées entre deux cours.

D’autres témoignages confirment ce climat pesant. Inès se souvient d’un élève affirmant que les garçons sont naturellement plus doués en mathématiques. Lina, en physique, a entendu un camarade affirmer que les femmes n’avaient rien apporté à la science. Des propos choquants en 2025, mais qui s’inscrivent dans un contexte où les stéréotypes sexistes restent ancrés.

Une misogynie de plus en plus décomplexée

Le Haut Conseil à l’Égalité (HCE) soulignait dès 2023 que les préjugés sexistes sont en recrudescence chez les jeunes garçons. Pour le HCE, ces stéréotypes sont transmis dès le plus jeune âge à travers la famille, l’école et les réseaux sociaux. Les contenus masculinistes prolifèrent sur internet, alimentant des idées reçues qui nuisent aux représentations des filles en sciences. Même des hashtags en apparence anodins, comme #GirlMaths, contribuent à décrédibiliser leurs compétences.

"On ne s’est jamais mélangées avec les garçons"

Mohamed Nassiri, professeur de mathématiques à Lille, confirme cette tendance. "Lors d’un débat en classe, certains élèves m’ont expliqué qu’ils trouvaient normal que les hommes soient mieux payés que les femmes. Ils n’y voyaient aucun problème."

Le fait que les filles soient minoritaires en spécialité maths accentue ce sexisme. Depuis la réforme du bac, il n’est pas rare de trouver seulement quatre ou cinq filles par classe. Lucie, aujourd’hui en Terminale, raconte : "En Première, on était trois filles sur vingt. Je suis restée avec une autre fille, on ne s’est jamais mélangées avec les garçons."

Un renoncement forcé

Le poids de cet environnement masculin pousse de nombreuses lycéennes à abandonner les mathématiques, même lorsqu’elles ont d’excellents résultats. "Certaines élèves avec 20 de moyenne arrêtent les maths à cause des garçons, confie Mohamed Nassiri. Elles me disent qu’elles ne veulent pas être la seule fille en Terminale. J’essaie de leur faire comprendre qu’elles ont leur place, mais c’est compliqué."

Clémence Perronnet, sociologue et coautrice de Matheuses, les filles, avenir des mathématiques, explique que cette situation repose sur une perception genrée de la discipline. "Les mathématiques sont perçues comme la matière la plus prestigieuse, celle qui définit l’intelligence. Quand les filles réussissent, c’est plus difficilement accepté."

"Tout cela a un coût pour les filles"

Sarah, qui vise une école d’ingénieurs via Parcoursup, décrit un environnement pesant : "Les garçons sont misogynes, fermés. C’est très lourd." Son témoignage illustre un phénomène bien connu : ces attitudes finissent par altérer la confiance en soi des filles.

Inès, par exemple, a intégré malgré elle l’idée qu’elle était moins douée que ses camarades masculins. "Ils donnent l’impression que tout est facile pour eux, alors je me dis que je suis moins forte." Elle remarque aussi que toutes les filles de sa classe s’installent au dernier rang et participent moins en cours. "Peut-être parce qu’on se sent inférieures."

Clémence Perronnet confirme : "Les garçons développent un excès de confiance tandis que les filles, pourtant souvent meilleures, doutent d’elles-mêmes. Une élève avec 16 de moyenne me demandait si elle pouvait faire une licence de maths, alors que son camarade avec 11 de moyenne visait une prépa."

Mégane illustre l’impact concret de cette misogynie. Harcelée par un garçon qui la frappe "pour rigoler", elle a fini par manquer plusieurs jours de cours. "Je lui ai demandé d’arrêter, mais il continue." Un climat qui mine les ambitions des lycéennes.

La non-mixité, une solution temporaire ?

Pour redonner confiance aux filles, Mohamed Nassiri a lancé Les fourmis éclairées, un stage non mixte gratuit en mathématiques et informatique. "Les participantes me disent qu’elles y ont plus parlé en une semaine que depuis le début de l’année."

Mais cette solution reste limitée. "La non-mixité suspend temporairement la violence subie par les filles, mais ne règle rien sur le long terme", estime Clémence Perronnet. De plus, elle est interdite par le Code de l’Éducation.

Des mesures insuffisantes

Depuis 2018, chaque établissement doit nommer un référent égalité, mais en pratique, ces enseignants n’ont ni temps ni moyens pour agir efficacement. "Ils tentent de faire bouger les choses avec des bouts de ficelle, puis finissent par s’épuiser", déplore Pierre Priouret, professeur de mathématiques.

Quant à la formation des enseignants sur les biais sexistes, elle reste quasi inexistante. "On sait aujourd’hui que les professeurs n’interrogent pas les filles autant que les garçons, qu’ils ne les encouragent pas de la même manière. Mais rien n’est fait pour former les enseignants sur ces enjeux", souligne Claire Piolti-Lamorthe, présidente de l’APMEP.

Pierre Priouret renchérit : "L’égalité des genres est un angle mort de notre formation. Or, sans travail de fond, les annonces restent vaines."

"Il faudrait éduquer les garçons"

Face à ce constat, Sarah, lycéenne en spécialité maths, propose une solution simple : "Il faudrait vraiment éduquer les garçons, les sensibiliser." Le programme Éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité, publié au Bulletin officiel en février, intègre un volet sur l’égalité des genres. Mais suffira-t-il à faire évoluer les mentalités ?

Pierre Priouret reste sceptique : "Sans remise en question profonde du système, on ne changera rien."

L’urgence est pourtant là. Si rien n’est fait, la fuite des filles des spécialités scientifiques risque de se poursuivre, avec un impact durable sur la place des femmes dans les métiers des sciences et des technologies.

SOURCE : LE PARISIEN

En savoir plus sur nos solutions pour les établissements scolaires
La plaquette pour animer la communauté de votre établissement
Partager ce contenu

Nos réalisations

Découvrez nos références, nos réalisations et nos travaux pour des établissements.

C'est tout frais de nos experts

"ChatGPT nous oblige à redéfinir notre métier" : un professeur d’histoire-géo spécialisé en intelligence artificielle
ÉDUCATION
5
September 2025

"ChatGPT nous oblige à redéfinir notre métier" : un professeur d’histoire-géo spécialisé en intelligence artificielle

ChatGPT s’invite au lycée : un professeur intègre l’IA dans ses cours pour former ses élèves et repenser la pédagogie de demain.
Nouveau bachelor agro : les modalités détaillées dans des projets de décrets
ÉDUCATION
5
September 2025

Nouveau bachelor agro : les modalités détaillées dans des projets de décrets

Le bachelor agro arrive en 2026 avec six mentions et de nouvelles règles pour l’enseignement agricole. Focus sur son organisation et ses enjeux.
Une entreprise sur six a intégré le mécénat de compétences
ÉDUCATION
5
September 2025

Une entreprise sur six a intégré le mécénat de compétences

16 % des entreprises misent sur le mécénat de compétences. Découvrez ses impacts sur l’engagement, la marque employeur et les carrières.