"Ça rend paresseux, mais c'est difficile de s'en passer" : l'IA générative, nouvel outil favori des élèves

Étudier à l'ère de l'intelligence artificielle
Au lycée comme à la fac, l’intelligence artificielle est déjà partout. Rédaction de devoirs et d'exposés, résumés de cours, aide aux révisions... Deux ans après le lancement de ChatGPT, l'IA générative fait désormais partie du quotidien des élèves. Alors que débutent ce lundi les épreuves du Grand Oral du bac, des élèves racontent à BFMTV.com leur rapport, parfois paradoxal, à cet outil devenu incontournable tout au long de l'année scolaire.
Les élèves du lycée de Carla* à La Seyne-sur-Mer (Var) n'ont aucun mal à admettre qu'ils ont régulièrement utilisé l'intelligence artificielle (IA) pour faire leurs devoirs cette année. La jeune fille de 18 ans, en terminale de sciences économiques, sociales et histoire-géographie, reconnaît avoir intégré l'IA à sa routine depuis l'année dernière. L'outil l'a même aidée à améliorer ses résultats de plusieurs points.
"Je suis passée de notes comme des 12/20 à un bon 14-15 de moyenne", témoigne-t-elle, même si elle admet fournir plus de travail qu'avant.
"Un changement majeur" et "un défi énorme pour l'école"
Philosophie, histoire-géo, enseignement scientifique... La jeune fille ne cache pas que ChatGPT est devenu pour elle une sorte de compagnon de travail, qui l'aide autant à trouver une structure à ses rédactions qu'à répondre aux questions de ses exercices scientifiques. Il l'aide aussi à illustrer ses propos avec des exemples, même si elle sait qu'elle doit vérifier les sources a posteriori.
Au sein de sa génération, Carla est loin d'être un cas isolé. Un rapport sénatorial publié en juin 2024 indique que 83 % des 18-21 ans utilisent l'intelligence artificielle dans le cadre de leurs études. 75 % des élèves reconnaissent l'utiliser quotidiennement pour rédiger leurs devoirs.
"Avec l'IA, on fait face à un changement majeur dans nos sociétés. C'est un défi énorme pour l'école", observe Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l'éducation à l'université Paris Descartes Cité et au CNRS.
Dans les établissements qu'il a visités, environ 80 % des élèves avaient déjà utilisé l’IA. "Ce n’est pas toujours de façon régulière, parfois ils l’ont juste essayée, mais ils savent ce que c’est." Pourtant, ajoute-t-il, "ils n’ont souvent aucune idée de son fonctionnement. Beaucoup la perçoivent comme un simple moteur de recherche comme Google, alors que l’IA générative repose sur des associations probabilistes entre les mots."
D'autres élèves, comme Mathurin, se servent de l'intelligence artificielle pour accélérer leurs révisions, souvent jugées pénibles. Ce lycéen de 15 ans, en seconde à Paris, utilise ChatGPT depuis la 4e, dès son lancement. Il réalise, grâce à l'IA, des fiches récapitulatives de ses cours pour réviser de façon plus concise et efficace.
"Ça m'aide dans les révisions, genre pour faire des récaps. Ça fait gagner énormément de temps : j'envoie les photos de mes leçons dans ChatGPT, ça me fait une petite fiche de révision claire et compréhensible."
"Cette année personne ne s'est fait prendre"
Lorsqu'il bloque dans un exercice ou une formulation, il demande à l'IA, qui lui donne la réponse en quelques secondes, voire détaille le raisonnement. "Quand je n'y arrive pas, je me tourne vers l'IA comme si c'était un étudiant artificiel, au lieu de demander à des amis comme on aurait pu le faire il y a 10 ans."
Certains élèves assument un usage plus opportuniste de l’outil, quitte à tricher. En terminale générale à Sens (Yonne), Bassem et ses amis ont cotisé pour un abonnement premium à ChatGPT, une vingtaine d’euros par mois, utilisé pour les devoirs maison et les réponses discrètes en classe. "Tous mes amis font ça et ne se cassent pas la tête", explique le lycéen de 18 ans.
Lors des devoirs sur table, certains camarades n’hésitent pas à dissimuler leur smartphone pour utiliser l’IA discrètement, comme autrefois. "Ils prennent en photo la copie du contrôle et l’envoient à ChatGPT, et parfois ils demandent à aller aux toilettes pour consulter les réponses. D'autres préparent leurs oraux complètement avec ChatGPT et les apprennent par cœur."
"Ça marche souvent", se vante-t-il. "Cette année dans ma classe personne ne s’est fait prendre, pourtant on est beaucoup à s'en servir."
La tentation d'utiliser l'IA en permanence
Bien qu'ils aient intégré ChatGPT dans leurs habitudes, certains élèves tentent de limiter son usage, alertés par leurs parents et enseignants sur les risques de dépendance.
"J'essaie quand même de me fixer une limite et de ne pas l'utiliser tout le temps parce que c'est vrai que ça nous rend plus paresseux", explique Carla, qui, sur les conseils de ses parents, essaie de se freiner.
"Quand on commence, c'est difficile de s'en passer. Je pense qu'on peut vite développer une sorte d'addiction à l'IA, vu que ça facilite vachement les choses pour tout. Le risque, c'est que nos notes s'améliorent mais c'est pas vraiment nous qui progressons au final."
Carla s'inquiète de l’écart entre les notes obtenues grâce à l’IA et le niveau réel des élèves. "Nos résultats ne reflètent plus forcément nos compétences", observe-t-elle. Elle redoute que cela devienne un problème au moment de l’insertion professionnelle, notamment pour ceux qui s’appuient systématiquement sur l’IA. "Il risque d’y avoir un vrai décalage entre ce qu’on sait faire et ce qu’on a rendu avec l’aide de l’IA."
"Ça nous assiste, en quelque sorte, et c'est vrai qu'au fond, on fait moins d'efforts", reconnaît aussi Mathurin. Ses parents essaient de le dissuader d’en abuser sans lui interdire l'accès. "Ils me disent que je ne vais plus être capable de penser par moi-même."
Pas une baguette magique
À la fac comme en classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE), les étudiants de l'enseignement supérieur se sont aussi approprié les outils d’intelligence artificielle. Sarah, étudiante de 23 ans en master de droit, utilise ChatGPT ou Perplexity pour établir des listes de sources et d'articles de loi en un clic. "C'est un gain de temps énorme!", se réjouit-elle.
"Un travail dirigé en droit en général, ça prend 15 à 20 heures à faire. Alors qu'avec l'IA, ça prend désormais entre 5 et 10 heures", témoigne-t-elle.
Elle reste néanmoins consciente des limites de l’IA et l’utilise avec prudence. "Quand c'est du droit de la famille, c'est assez simple : en général il trouve les bons articles de loi. Mais sur des cas plus spécifiques, quand il faut une décision de justice pour appuyer l'argumentaire, là ça se complique. Il n'est pas vraiment compétent pour ça."
Esteban*, étudiant en troisième année de droit à l’université Paris-Saclay, l'utilise comme assistant de lecture et d’analyse face à la masse de textes à assimiler. Il s’en sert aussi pour corriger et restructurer ses notes prises rapidement en cours. "Il y a plein de fautes, des mots qui manquent, des phrases incompréhensibles… C’est normal, ça va vite." Il les copie dans l'outil pour les corriger et les synthétiser. "Comme ça, j’ai des cours clairs et propres."
"Un gain de temps évident, mais pas sans limites", admet-il. "Je retiens moins bien, parce que je ne fais pas l’effort de réfléchir par moi-même." L'usage de l'IA provoque aussi des tensions : certains étudiants, attachés à un travail personnel, voient l’utilisation de ChatGPT comme une forme de triche.
Quand l'IA creuse les écarts
Ils dénoncent une inégalité face à l’évaluation, où ceux qui s’appuient sur l’IA peuvent gagner du temps et des points sans fournir le même effort. Ce sentiment d’injustice est d’autant plus fort lorsque les enseignants peinent à détecter les textes générés.
Julie, étudiante de 21 ans en licence d'histoire-géographie à la Sorbonne, refuse d’y avoir recours. Pour elle, c’est une forme de résistance contre une pratique qu’elle juge contraire à l’esprit des études supérieures.
Elle partage son agacement face à l'usage décomplexé de l’IA en Khâgne à Toulon l'an dernier, où la moitié de la classe préférait utiliser l’outil pour résumer ou "ficher" rapidement les œuvres au programme, sans les lire en entier. "C'est choisir la facilité. En prépa, la charge de travail est monumentale, donc gagner du temps avec ça change la donne", regrette-t-elle.
"Ce qui était énervant, c’est que certains avaient les mêmes notes, voire de meilleures alors qu’ils utilisaient ChatGPT tout le temps", raconte Julie. Elle s’étonne encore du manque de réaction des enseignants. "Les profs s’en doutaient, mais il n’y avait pas de représailles", déplore-t-elle.
Les enseignants, au lycée comme dans le supérieur, peinent souvent à repérer les devoirs réalisés avec l'IA. Certains essaient de se munir d'outils de détection comme Compileo ou Examino. Mais ces outils restent imparfaits, et les professeurs doivent faire preuve d’imagination pour garder le contrôle face à ces nouveaux usages.

SOURCE : BFM TV

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